Novella 1 - Aprile



Capitolo 1


Paul respira profondément et se tourna. La sensation de bien-être, celle que l'on ressent en se réveillant était exquise. Mais il savait qu'il ne pouvait pas en profiter pendant des heures. Il était le chef des défendeurs, le Dux Reum. Les responsabilités étaient accablantes. Les défendeurs protégeaient les humains contre les souterrains, ces êtres maléfiques et il fallait bien quelqu'un pour veiller sur eux. Leur chef était là pour ça. C'était éreintant mais il avait choisi, il y avait bien longtemps, de consacrer sa vie à la lutte contre les souterrains. 
Il ouvrit les yeux.
Ce qu'il vit amena un sourire sur ses lèvres. Lucia dormait près de lui, entièrement nue, l'expression béate. Sur son sein, une autre main, celle de Cesare Borgia, qui ronflait comme un bienheureux. Paul se souvint de la nuit dernière : un vrai délice.  
Ce n'était pas rare qu'ils passent ainsi une nuit à trois. Lucia avait besoin d'avoir des orgasmes à intervalles réguliers. Elle avait été violée par un incube deux cents ans plus tôt et il l'avait corrompue suffisamment pour qu'elle ait une forte demande sexuelle. Elle était rentrée chez les défendeurs pour que plus personne ne vive ce qu'elle avait vécu mais ils avaient dû s'adapter à ses besoins.  
Heureusement, Paul et Cesare étaient très ouverts et n'hésitaient pas à mettre la main à la pâte s'il le fallait. On ne laissait pas une compagne en difficulté chez les défendeurs. Mais Paul n'ignorait pas que Cesare en revanche aurait voulu une véritable relation avec Lucia. Il était amoureux d'elle mais ne se l'avouait pas. Il fallait le comprendre. La dernière fois qu'il avait été amoureux, le Pape l'avait maudit et condamné à vivre une vie immortelle pour expier ses péchés. À présent, il hésitait. D'autant que Lucia ne voulait absolument pas s'embarrasser de sentiments.  
Leur relation était donc difficile et Paul faisait le rôle de tampon. Tant qu'il était là, ils pouvaient se voiler la face tous les deux. 
Le Dux Reum finit donc par se lever. Il savait que si Lucia avait une envie matinale, Cesare pourrait l'assouvir. Le Valentinois préférait, de toute manière, le sexe en début de journée. Selon lui, cela le mettait de bonne humeur. 
Paul récupéra son boxer, son pantalon et un t-shirt puis sortit sans faire de bruit. Il s'habilla dans le couloir, amusé de devoir jouer les voleurs dans sa propre maison puis descendit au rez-de-chaussée. Par la fenêtre ouverte de l'escalier, il entendit les cloches de la ville éternelle célébrer Pâques. Il eut un sourire. 
C'était la fête préférée d'Hénora, sa compagne. Elle adorait ce moment de joie et de liesse suivi d'un incroyable banquet et de festivités enjouées. Pour voir son sourire, il avait été capable de tout, y compris prendre part à une fête religieuse. Penser à elle le plongea dans ses souvenirs, le berçant d'une nostalgie empreinte de regret. Elle lui manquait. Elle s'était donnée la mort six cents plus tôt et depuis il brûlait de la rejoindre. Son souvenir l'attrista et il ferma les fenêtres pour ne plus entendre le son des cloches, trop évocateur. 
Les escaliers étaient recouverts de vêtements, sacs, accessoires et autres objets non identifiés et Paul fit quelques acrobaties pour parvenir au salon. Des restes de repas, des DVD, des verres et des vêtements s'entassaient aussi partout et il sourit. Une petite voix lui disait de ranger, une voix qu'il connaissait bien et qu'il identifia sans peine comme étant celle de son ancien protégé, Kris. Ce dernier ne supportait pas le désordre et depuis qu'il était parti, Paul se laissait aller. Du coup, il ignora la voix et gagna la cuisine. 
Après avoir constaté qu'il n'y avait pas de tasse propre – comme tous les matins – il prit une tasse sale, prononça une formule pour la nettoyer puis enclencha la bouilloire. Une voix le surprit.
— J'ai fait du café, lâcha une voix derrière lui.
Paul se retourna et vit Naples assis sur le banc en bois de la terrasse. Son compagnon souriait, une tasse fumante à la main. Il avait un visage doux, aux traits réguliers avec d'épais cheveux bruns qu'il coupait court. Avec ses grands yeux noisettes en amande, il était le portrait parfait des Amérindiens. Et pour cause, Naples était un des derniers Incas encore en vie. Il avait été arraché à son village et sa tribu, mutilé, traité comme un objet puis ramené en Europe. Il avait fini par trouver refuge chez un marchand puis avait rencontré Paul.
Le Dux Reum avait mis des années avant d'obtenir sa confiance. Naples avait conservé de son passé une aversion pour la foule et surtout une grande méfiance à l'égard des étrangers. C'était donc un homme discret qui s'était réfugié dans la lecture et la connaissance.  
 Paul chercha le café quelques secondes puis sourit en apercevant la cafetière. Il se servit, sortit sur la terrasse, respira l'air frais du matin puis s'installa près de son compagnon. 
— Tu ne dors toujours pas ? demanda Paul.
Naples prit une profonde inspiration. Avec des gestes mesurés et élégants, il attrapa son marque-page, le cala puis referma son livre et le posa près de lui. Il se tourna ensuite vers Paul. 
— Non, je ne dors toujours pas. Mais ce n'est pas grave. Tu sais que je n'ai pas besoin de beaucoup de sommeil. Une heure ou deux de méditation par semaine me suffisent amplement.
Le Dux Reum hocha la tête. Il était parfaitement au courant. Le sommeil de Naples était en général peuplé de cauchemars sordides et était tout sauf réparateur. Avec un sortilège, Paul avait fait en sorte qu'il puisse récupérer par le biais de la méditation. Ce dont Naples ne se privait pas. 
— Puisque tu le sais, j'en déduis que c'est toi qui ne parviens pas à dormir, continua son compagnon.
— Non, j'ai dormi comme un loir, réfuta Paul. Procurer des orgasmes à Lucia est éreintant.
Naples ne répondit pas. Il n'avait aucune idée du travail que cela pouvait être de procurer des orgasmes à quelqu'un. Vu sa condition, il n'avait jamais été en position d'en donner et ne cherchait pas spécialement à l'être. Les étreintes sexuelles ne l'attiraient absolument pas. Mais en vivant avec Paul et les autres, il avait au moins dû se résoudre à côtoyer des personnes sexuellement très actives et ingénieuses. 
Il regarda Paul qui sirotait son café. Son compagnon lui cachait quelque chose. Il finissait par bien le connaître, après quatre cents de vie commune. Il attendit donc patiemment. Cela ne durait jamais bien longtemps en général. 
— J'ai entendu les cloches de Pâques, soupira Paul après quelques secondes.
Naples comprit ce qui le tracassait. À chaque printemps, c'était la même chose. Paul était atteint de mélancolie. Partout, une certaine joie de vivre se répandait, contaminant parfois les plus récalcitrants. Une atmosphère de paix descendait parmi les humains. Mais pour Paul, cette période resterait à jamais la fête préférée de sa regrettée amante, l'amour de sa vie. 
Tout ce qui se rattachait à la résurrection du Christ le conduisait invariablement à penser à elle. Et vivre à Rome, capitale chrétienne, n'aidait probablement pas. 
— Je sens qu'ils vont se surpasser cette année, fit Naples. Comme chaque année.
— Oui, sans doute. Ce sera magnifique, murmura Paul.
Il contemplait l'intérieur de sa tasse de café comme s'il pouvait y trouver les réponses à toutes les questions existentielles. 
— Valens est tout excité par la perspective de passer de nouveau ses Épreuves, fit Naples, pour essayer de dérider son compagnon.
Paul poussa un grognement. Valens... Après des décennies, il ne parvenait toujours pas à passer l'Initiation, le premier niveau des Epreuves pour devenir défendeur. Il y en avait cinq en tout. Elles n'étaient pas obligatoires pour devenir défendeur et Valens aurait pu se contenter d'être simplement choisi par Paul. Mais il voulait être un défendeur « officiel » et n'en démordait pas.  
— S'il ne les loupait pas aussi souvent, grommela le Dux Reum.
Naples sourit. Leur jeune compagnon n'était pas un féru d'études. Les Épreuves pour devenir défendeur étaient certes difficiles mais le premier niveau ne nécessitait pas d'être incollable, juste d'avoir des notions suffisantes en histoire, langues, potions et sortilèges et évidemment maîtrise des armes. Sur cette dernière matière, Valens se débrouillait bien. Il faut dire qu'entre Paul et Cesare, il bénéficiait de l'enseignement des deux meilleurs défendeurs. 
Mais concernant les autres disciplines, c'était plus difficile. Lucia lui apprenait les potions et sortilèges où il ne brillait guère tandis que Naples s'efforçait de lui apprendre l'histoire et les langues. Mais Valens ne faisait aucun effort. Il n'aimait pas l'histoire, la trouvant barbante et inutile. Les personnages dont on parle sont morts, alors qu'ils viennent pas la ramener, avait-il lancé à Naples lorsqu'il ne parvenait pas à retenir les noms des premiers défendeurs. 
Il s'est légèrement amélioré en langue. Il ne bafouille plus son grec ancien, remarqua Naples pour encourager un peu le Dux Reum.
— Peut-il lire les écrits de Pline dans leur première version ? demanda Paul.
Naples secoua la tête. Cela aurait été vraiment prématuré. Son compagnon haussa les épaules puis posa sa tête contre le mur en soupirant.
— Pourquoi s'entête-t-il à les passer ? Il ne fait que se ridiculiser à chaque fois...
— Parce qu'il veut te prouver qu'il le peut, répondit Naples. Il te doit beaucoup, il t'admire, tu es un père pour lui. Après ce qu'il a traversé, il voudrait te faire honneur. Il s'y prend mal, je le reconnais, ajouta-t-il avant que Paul ne puisse l'interrompre. Mais il fait ça pour toi.
— Qu'il arrête dans ce cas. Cela devient gênant. Sur quelles questions s'est-il trompé la fois dernière ?
Naples sourit.
— La différence entre l'acacia et la baie hurlante sur les piqûres de briut, les conjugaisons grecques, les idéogrammes shintoistes, les runes souterraines, la date du schisme entre Leïs et défendeurs, les conséquences de la bataille de Moscou en 1912....
— C'est bon, assez, grimaça Paul alors que Naples allait continuer l'énumération.
— Mais il a excellé à l'épreuve des armes, remarqua son compagnon.
— Il ne manquerait plus que cela, grogna le Dux Reum.
— Il fait de son mieux, continua Naples.
Paul ne répondit pas. Naples comprit qu'il était inutile d'insister. La Réunion du Solstice aurait lieu dans un peu plus de deux mois. Il avait prévu des leçons intensives avec Valens. Il comptait bien lui faire rentrer dans le crâne les différents éléments qui risquaient de tomber à l'examen. Tout comme Lucia.
— Des nouvelles de Kris ? demanda-t-il pour changer tout à fait de sujet.
Le Dux Reum prit une inspiration. Naples lui posait une colle. Quelques jours auparavant, Paul avait envoyé Kris et Jorak, deux de ses défendeurs, dans une autre dimension. Ce n'était pas voulu mais ils avaient mis plusieurs jours à revenir, par leurs propres moyens parce que Paul n'avait pas trouvé de solution. Le Dux Reum avait eu Kris hier soir par connexion télépathique.
— Il est parvenu à rentrer. Il y avait un souci avec Victoria, sa fille adoptive mais tout s'est arrangé. Jorak est resté dans l'autre dimension, il a apparemment trouvé l'amour.
Naples approuva. Mais il sentait que Paul se sentait coupable. Il s'était trompé dans une formule. Cela arrivait assez souvent et les défendeurs étaient habitués aux bourdes de leur Dux Reum mais Paul culpabilisait à chaque fois.
— Je suis persuadé que Kris ne t'en tient pas rancune, assura Naples. Et si Jorak a trouvé l'amour....
— Je sais bien. Kris ne m'en voudra jamais. Mais malgré tout...
— Est-ce que tu vas arrêter de faire des expériences ?
Paul hésita. L'idée lui avait évidemment traversé l'esprit. Comme toutes les fois où il se foirait. Mais l'envie de reprendre était toujours la plus forte. Et certaines de ses inventions avaient changé considérablement les choses, améliorant les performances des défendeurs, leur permettant d'être mieux protégés...
— Je ne pense pas. Mais je ne prendrai plus de cobayes humains.
Naples sourit. Il avait déjà entendu ça. 
Un bruit dans la cuisine les fit se retourner. Valens était en train de jurer et de brandir une boite de céréales, vraisemblablement vide. Le plan de travail était couvert de petites boules craquantes enrobées de miel et ses compagnons comprirent que le fond de la boite avait dû céder. 
— Et merde !
D'un mouvement d'humeur, le jeune homme lança l'étui vide contre la crédence.
— Déjà ? De bon matin ? s'amusa Lucia en nouant son peignoir de soie sur sa nuisette. Il y a une autre boîte, c'est pas la mer à boire.
Elle ouvrit le placard du haut et en extirpa une boite neuve. Valens s'en saisit, l'ouvrit et versa quelques céréales dans son bol. Il marmonna un « merci » en les inondant de lait puis partit s'installer dans le canapé. Lucia sourit et secoua la tête.
— Toujours aussi aimable le matin, lâcha-t-elle. Il n'avait pas rendez-vous avec Giula, hier soir ? Il devrait être détendu.
Naples grimaça en se levant pour se rendre à la cuisine et se resservir une tasse de café.
— Il est rentré furieux, bien trop tôt pour que quoi que ce soit ait pu se produire. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, il est monté directement dans sa chambre, avoua-t-il.
— Tu t'es fait larguer ? cria Lucia en direction du salon.
Paul lui lança un regard désapprobateur. Il n'aimait pas quand elle titillait Valens. Elle se contenta d'hausser les épaules à son reproche silencieux.
— Non, je ne me suis pas fait larguer ! s'énerva Valens depuis le canapé. Mais elle a amené des amies à elle. Elle pensait que c'était une soirée entre potes.
— Oh c'est nul, fit Lucia en se pinçant les lèvres pour ne pas éclater de rire.
— Arrête de te foutre de moi ! reprit le défendeur.
— Tu as dû mal t'exprimer quand tu lui as demandé de sortir avec toi, remarqua Paul en allant s'asseoir près de Valens.
Le jeune homme haussa les épaules et continua de s'empiffrer avec les céréales.
— Cette histoire entre elle et toi finira comme celle d'Ekua et de Mazanu, j'en suis persuadé, encouragea Naples.
Valens lui jeta un œil torve.
— De qui et de qui ?
Naples soupira intérieurement. Encore un pan de l'histoire des défendeurs qu'il lui fallait apprendre.  

Capitolo 2

Naples regarda l'étudiant sortir, dépité. Il savait que ce qu'il venait de faire n'était pas très élégant mais il n'aimait pas encourager les étudiants qui étaient certains de terminer dans le mur. Viggo n'avait pas assez approfondi ses recherches. Il méritait ce petit coup de bâton et de pression. Mais le défendeur savait que cela finirait par lui retomber dessus. Qui devrait se coltiner de nouveau un chapitre entier d'une thèse portant sur les habitudes hygiéniques des hommes péruviens avant la chute de l'empire inca ? 
Ce sujet aurait pu se révéler passionnant mais Naples, pour avoir connu certains Incas, savait parfaitement ce qu'il en était. Les découvertes extraordinaires que Viggo pourrait peut-être faire ne seraient pas inédites pour lui. Mais comme tout ce qu'il faisait du reste. Être doyen du département d'histoire moderne de l'université de Rome n'était finalement pas un poste aussi excitant qu'il l'avait pensé. 
Après avoir passé quelques siècles uniquement préoccupé par la chasse aux souterrains, Naples avait eu envie de s'intégrer dans le monde terrestre et de trouver un emploi. Paul lui avait répété qu'il n'y était pas obligé et que cela ne le dérangeait pas de l'entretenir. Naples n'avait jamais pensé qu'effectivement, c'était Paul qui payait pour tout depuis leur rencontre. 
Ce n'était donc pas par considération monétaire que Naples avait décidé de se lancer dans une carrière universitaire. Il avait envie de retrouver peut-être une vie humaine normale. En parallèle de son boulot de défendeur. L'humain qu'il avait été aspirait à ce semblant de normalité. 
Le choix de son domaine de recherche avait été rapide. Étant issu d'une des tribus disparues lors de la colonisation espagnole, l'histoire de l'Amérique du Sud et de ses civilisations passées s'était un peu imposée à lui. Il avait beaucoup à apporter à la recherche contemporaine et quelques jours passés en compagnie des plus éminents chercheurs dans ce domaine lui avaient assuré une réputation rapide. 
Quelques manipulations dans les serveurs humains lui avaient permis d'obtenir les diplômes et l'expérience requis pour postuler à l'université de Rome. Il avait ensuite gravi les échelons assez rapidement. À présent, il était doyen, responsable de formation et professeur éminent. Ce qui l'obligeait par conséquent à encadrer les futurs humains historiens. De manière générale, Naples ne regrettait aucun de ses choix. 
Mais à présent, il se disait que peut-être, il faudrait qu'il pense à changer de carrière et à s'éloigner de l'université. Il continuerait d'engranger des connaissances évidemment mais il s'éloignerait des humains. Il n'avait jamais aimé la présence d'autres êtres mais avait fini par s'y habituer. Il était assez fier d'avoir tenu près d'une décennie. 
On frappa à sa porte et il soupira. Il pensait pouvoir rentrer et se consacrer à l'éducation de Valens.
— Oui ? fit-il de mauvaise grâce.
La porte s'entrouvrit et un homme passa la tête. Il avait un air espiègle et adressa un grand sourire à Naples.
— Oui, ça veut dire que je peux rentrer ou juste que vous êtes là ? demanda-t-il, désarçonnant le défendeur.
Il fronça les sourcils et croisa les bras sur sa poitrine.
— Si vous êtes ici pour faire une farce..., commença-t-il mais l'homme secoua la tête.
— Non, non, excusez-moi, fit-il en entrant dans le bureau.
Il referma la porte et Naples l'observa. Il ne le connaissait pas et ne l'avait jamais vu. Il avait des cheveux châtains en bataille, des pommettes saillantes mais des yeux bleus pétillants qui attiraient invariablement le regard. Sa tenue, en revanche, était assez négligée. Il portait un sac noir complètement usé en bandoulière, un jean délavé et une chemise blanche froissée, visiblement trop petite pour ses épaules carrées.
— Je m'appelle Leonardo Scarpa, se présenta l'inconnu en tendant la main vers Naples. Mais vous pouvez m'appeler Leo.
Le défendeur le regarda mais ne fit pas un geste dans sa direction et se contenta de conserver les bras croisés sur sa poitrine. Le sourire de Leo se dissipa un peu mais il se ressaisit, essayant de ne pas prêter attention à la froideur de son interlocuteur.
— Je suis ici dans le cadre de mes recherches sur les civilisations pré-colombiennes, expliqua-t-il donc. J'ai obtenu une bourse de recherche de la part de la faculté de Florence et l'université de Rome m'a proposé un poste d'assistant de recherche.
— Oui, j'en ai entendu parler, soupira Naples, sans cacher son ennui.
Il avait demandé un assistant deux ans auparavant. Mais avec l'université, il fallait toujours s'attendre à des délais de retard. Il se souvenait néanmoins qu'on lui avait fait passer plusieurs CV. Il ne parvenait pas à se souvenir de ce type en revanche.
— Le poste qu'on vous propose est essentiellement un poste de recherche. Il y aura sans doute des cours à donner mais rien de bien significatif. Je ne connais pas vos thématiques de recherche mais nous verrons ensemble comment vous pourrez les poursuivre avec le travail que je vous donnerai. L'université de Rome a réussi à récolter suffisamment de fonds pour organiser une expédition en Colombie afin de déterrer des ruines probables de plusieurs temples et peut-être d'une ancienne cité oubliée. Vous devrez en faire partie pour représenter l'université. Vous êtes célibataire ?
La question sembla déconcerter Leo qui mit quelques secondes à répondre.
— Oui. C'est important ?
— Je m'en voudrais de donner le poste à un père de famille ou à un futur marié qui devra ensuite partir pendant six mois à l'étranger, expliqua laconiquement Naples.
Leo hocha la tête. Vu comme cela, il n'avait pas grand chose à ajouter.
— Je ne sais pas ce qu'on vous a dit d'autre sur le poste mais il y a une période d'essai d'un mois avant que votre candidature ne soit définitivement acceptée. Dans ce laps de temps, j'attends de vous une entière disponibilité.
— Je... oui bien sûr.
Naples scruta l'homme. Visiblement, ce qu'il venait de lui dire ne lui convenait pas.
— Qui y a-t-il ? Dois-je être au courant d'un détail de votre vie personnelle qui pourrait interférer avec votre travail ?
— Disons que j'ai déjà signé mon bail pour les trois prochaines années et j'ai versé ma caution, avoua Leo en se grattant l'arrière de la tête. J'avoue que si je pouvais conserver ce boulot, ça m'arrangerait. J'ai pas de solution de repli.
Il gloussa, amusé. Mais sa blague tomba à plat.
— Dans ce cas, vous devrez vous assurer d'autant plus de correspondre à mes attentes, annonça Naples, sans prêter attention à l'humour de l'homme.
Ce n'était pas qu'il n'était pas sensible à tout cela mais il n'aimait pas être trop familier avec quelqu'un qu'il ne connaissait pas bien. Même avec ses collègues, il restait froid et distant, bien qu'il connaisse certains depuis plusieurs années. Ce n'était pas avec un homme de l'allure de Leo qu'il allait se mettre à l'aise.
— Donc, c'est vous et vous seul que je dois convaincre ? reprit Leo.
Naples plissa les yeux. Il cherchait la blague derrière ses paroles et le petit sourire de Leo lui confirmait qu'il y en avait bel et bien une. Ne la trouvant pas, il choisit de l'ignorer.
— Je suis le doyen du département. Normalement, c'est au comité de choisir les titulaires et vacataires. Mais en histoire, j'ai mon mot à dire et le comité m'écoute plus qu'il ne le devrait. Donc, en résumé, oui. S'il n'y a qu'une personne à convaincre, c'est moi. J'aimerais d'ailleurs vérifier vos références. Je ne me rappelle pas avoir lu votre CV. En avez-vous un sur vous ?
La demande sembla perturber Leo mais il se reprit rapidement.
— Non. Mais je peux vous l'envoyer par mail avec mes lettres de recommandations et mes résumés de recherche.
— J'apprécierai, admit Naples.
Il allait prendre congé mais son téléphone portable sonna. Il fit un geste d'excuse envers Leo et décrocha.
Naples ? Je ne te dérange pas ? demanda Paul à l'autre bout du fil.
— Non. Qu'est-ce qu'il se passe ?
Javier a appelé. Il a découvert un artéfact après une bataille contre des sabras.
Naples visualisa les sabras, c'était des souterrains spécialisés dans la construction de fortifications. En général, on les utilisaient pendant les batailles et Naples n'avait jamais entendu parler de leurs incursions sur Terre. Il était donc étonné que des sabras soient venus sur Terre. Ils étaient davantage connus pour rester à Subterraneis, la ville des souterrains où ils veillaient à son entretien. Naples fouilla dans sa mémoire mais il n'avait pas connaissance d'une bataille quelconque opposant des défendeurs et des sabras.  
— Sérieusement ? Comment est-ce possible ?
Je ne sais pas trop. Les sabras commençaient à vouloir bâtir un temple sur d'anciennes ruines... de toute manière, en Colombie, il y a des ruines partout, soupira le Dux Reum.
Naples se retint de préciser qu'en Italie, et davantage encore à Rome, la ville préférée de Paul, les ruines étaient également omniprésentes.
Bref, en tout les cas, l'artéfact les intrigue. Javier dit qu'il n'a pas trouvé d'explication convaincante dans ses livres. Je lui ai dis qu'on passerait.
— Très bien. Il faudra dire à Valens que la leçon est reportée. Tu passes me prendre à l'université ou on part de la maison ?
Leo eut un mouvement et Naples croisa son regard. Il se fit la réflexion qu'il n'aurait pas dû avoir de conversation personnelle devant son assistant. D'autant plus que ce dernier semblait être d'un naturel assez curieux. Mais il était trop tard pour faire marche arrière.
Je peux passer te prendre, avoua Paul. Dans cinq minutes à ton bureau ?— Je serai prêt, confirma Naples avant de raccrocher.
Il se tourna vers Leo qui faisait mine de s'intéresser à son portable. Il leva les yeux quand il sentit le regard de Naples sur lui.
— Si vous n'avez pas de questions, je vous attends demain, fit le défendeur en allant ouvrir la porte.
Leo le regarda, légèrement interdit puis sembla se reprendre. Il fourra son portable dans sa poche et acquiesça.
— J'espère qu'on s'entendra, sourit-il en tendant la main quand il fut dans le couloir.
Naples n'y prêta pas un regard.
— Nous verrons bien, dit-il simplement avant de refermer la porte.
Leo resta un instant stupéfait devant la porte close, dans le couloir désert. Il ne s'attendait pas à cela. Pourtant, il avait rêvé de cette rencontre depuis des années. 
Naples Esposito. 
Le plus grand spécialiste des civilisations sud-américaines et notamment pré-colombiennes. Il avait lu tous ses travaux. C'était lui qui avait poussé Leo à faire des études d'archéologie et d'histoire et à se consacrer à ces questions-là. Il s'était battu comme un lion pour décrocher la bourse de son université et avoir l'opportunité de travailler à Rome, à ses côtés. 
Il avait imaginé leur premier contact plus chaleureux. 
Mais voilà que son maître à penser ne se souvenait même plus de son CV. S'il l'avait lu. 
Et merde, se dit-il en se grattant la tête. Faut jamais rencontrer ses héros, on le sait pourtant, putain ! Il soupira puis reprit sa route. Alors qu'il allait sortir du bâtiment d'histoire, il eut un doute. Il n'avait pas demandé l'horaire pour demain. 
Il hésita brièvement, se demandant ce que cela pourrait faire d'aller de nouveau le déranger. Il semblait sur le départ. Avec un peu de chance, Leo se dit qu'il pourrait le croiser dans le couloir. Il n'y avait pas d'autres chemins de toute manière. Il revint donc sur ses pas mais ne le croisa pas et se retrouva devant la porte de son bureau. Il soupira. Ce n'était pas son jour décidément. 
Résigné, il frappa. 
La porte, mal fermée, s’entrebâilla. Leo grimaça puis passa la tête. 
— Excusez-moi, la porte n'était pas fermée, je..., commença-t-il avant de s'interrompre.
Il ouvrit tout à fait la porte et soupira. Le bureau était vide. 
Je sens que ça ne va pas être de tout repos, se dit-il avant de repartir. 

Capitolo 3

Paul regarda Naples examiner consciencieusement l'artéfact que Javier venait d'apporter. Ils étaient arrivés quelques minutes auparavant à Chiquinquirá et s'étaient réfugiés dans la demeure du clan à cause d'un orage subit. Ils y avaient retrouvé Javier, Lexi et Cristina, soit la moitié de l'effectif du clan colombien. Jesus et Marta manquaient à l'appel mais Javier leur avait annoncé qu'ils étaient en train d'effectuer une patrouille.  
Paul avait trouvé cela courageux. Il avait soigneusement examiné les trois défendeurs face à lui. Il voulait s'assurer qu'ils n'étaient pas blessés ou porteurs de germes quelconques. Mais ils avaient l'air en parfaite santé. Javier était un rivas qui sous sa forme humaine faisait presque deux mètres. Il était aussi large que haut mais tout en muscles. Ses yeux gris aux reflets bleus démontraient toute l'expérience qu'il avait accumulé au cours de ses deux siècles d'existence. Paul était rapidement passé sur lui, sa race lui assurant une régénération rapide. 
Il s'était davantage attardé sur Lexi, une petite brune aux yeux verts qui camouflait une puissante céleste, maître de l'air et Cristina, une ufitul toute violette dont la queue bleue électrique s'enroulait autour de sa jambe. Après vérification, elles semblaient aller aussi bien l'une que l'autre et Paul en fut soulagé. Les sabras n'étaient pas des souterrains très puissants mais ils avaient la capacité de transformer leurs ennemis en pierre pour ensuite s'en servir dans leurs constructions. 
Toutefois, la pétrification n'était pas instantanée. Elle prenait plusieurs heures après la contamination, surtout quand il s'agissait de céleste ou de souterrain. Les humains étaient pétrifiés plus rapidement. Paul voulait donc s'assurer qu'ils ne risquaient pas de se retrouver changés subitement en statues de pierre. Une fois tranquillisé, il voulut en savoir plus sur les circonstances du combat. 
— Raconte-moi encore comment la bataille a commencé ? demanda le Dux Reum en s'éloignant un peu de son compagnon.
Il en profita pour amener Javier, Lexi et Cristina un peu plus loin. Il savait que Naples avait besoin de temps et surtout d'espace pour se rendre compte de ce que pouvait être cet objet. De plus, il avait vraiment envie de savoir comment des sabras, des souterrains normalement cantonnés à Subterraneis, s'étaient retrouvés en plein cœur de la Colombie. 
Javier consulta Lexi et Cristina du regard. Elles haussèrent les épaules, signe qu'il pouvait raconter s'il en avait envie. 
— Tu sais qu'ici, ce sont les ruines de l'ancien temple indien qui font office de passage entre Subterraneis et la Terre, commença Javier.
Paul acquiesça. Pour sortir de leurs cités et arriver sur Terre, les souterrains devaient emprunter des passages spécifiques et les défendeurs les surveillaient. En Europe, la plupart des points de passage était contenu dans les cimetières. Les ecclésiastiques avaient bâti leurs églises et presbytères à proximité du temps où ils luttaient activement contre les souterrains. La même chose s'était reproduit en Asie où les points de passage étaient quasiment tous concentrés dans ou à proximité des lieux saints ou sacrés. 
En Amérique par contre, les choses étaient différentes. Les défendeurs n'avaient pu y mettre pied qu'à partir du XVIe siècle, en même temps que les colons. Les souterrains avaient eu le champ libre pendant des siècles, asservissant les populations humaines et se faisant passer pour leurs dieux, exigeant des sacrifices humains et des pratiques sanglantes. 
Paul n'ignorait pas ce que les humains pensaient de la colonisation et, de leur point de vue, les massacres étaient injustifiés. Mais du point de vue défendeur, c'était une toute autre histoire. Peut-être auraient-ils pu éviter certaines tueries mais la guerre était la guerre. Même Naples, victime au premier plan, en était conscient. 
— Bref, on faisait une patrouille à proximité quand on a entendu des humains crier, reprit Javier. On est arrivés sur les lieux pour voir des sabras qui effrayaient une bande d'étudiants. Faut dire que les ruines sont aussi le lieu où les jeunes aiment se faire peur et éventuellement... bon, je vais pas te faire un dessin.
Paul secoua la tête. C'était inutile. Les jeunes mêlaient facilement angoisse et sexe. C'était de leur âge. Et le Dux Reum devait admettre que parfois, le flot d'adrénaline rendait le sexe plus excitant.
— Lexi leur a mis une bourrasque dans la tronche pour les écarter et on a massacré les sabras. Apparemment, ils n'avaient pas encore eu le temps de pétrifier d'humains... enfin, j'espère. Ils utilisent pas que des humains, hein ?
— Non, confirma Paul. Ils se servent aussi de matériaux plus conventionnels, rassura-t-il. Ils étaient en train de construire quelque chose ?
— A force d'y patrouiller, je connais l'emplacement de chaque pierre, la hauteur de chaque mur etc... Le temple avait pris une aile supplémentaire.
Paul fronça les sourcils. Tout ceci était étrange.
— Vous êtes allés voir ?
— Oui mais je sais pas si on aurait dû, avoua Lexi en faisant la moue.
Elle croisa les bras sur sa poitrine. Paul n'ignorait pas que c'était une femme courageuse. Cette attitude le déconcerta.
— Il fallait bien qu'on se rende compte, rétorqua Cristina. De toute manière, t'as peur de tout à chaque fois qu'on est dans les ruines.
— C'est pas vrai ! se défendit Lexi. J'aime pas les ruines, c'est tout. En plus, y a des tas de malédictions...
— La plupart sont fausses, assura Javier.
Il savait que sa compagne était particulièrement sensible aux charmes anciens. De plus, étant céleste, elle gardait une réticence toute personnelle à se battre sur un territoire où les souterrains avaient vécu pendant si longtemps. La terre, l'atmosphère étaient imprégnées de leur présence, même après plusieurs siècles de purification. Javier ne sentait rien de particulier mais quand Lexi était arrivée dans leur clan, six mois auparavant, elle lui avait expliqué les différentes ondes malfaisantes qu'elle ressentait, notamment à l'approche du temple. Cela n'entamait en rien ses capacités mais la rendait plus nerveuse.
— La plupart... c'est le mot clef, grommela Lexi.
— Qu'est-ce que vous avez vu ? répéta Paul, essayant de recentrer le débat.
— Ils avaient restauré une partie du temple et de l'autel de l'époque. Y avait du sang frais sur le sol. Humain. On n'a pas retrouvé de cadavres. Par contre, on a trouvé ce truc dans le sang, fit Javier en donnant un coup de menton en direction de Naples et de l'objet mystérieux, il brillait.
Paul regarda machinalement vers son compagnon. Il venait à peine de prendre l'objet entre les mains. Il devait sans doute estimer que son contact direct était sans danger. Cela avait pris plusieurs minutes pour le déterminer. Ce qui n'était pas bon signe.
— Comme les sabras ne font pas dans le sacrifice humain, on suppose qu'ils bossent pour quelqu'un, ajouta Cristina. Peut-être le propriétaire de cet objet.
— C'est possible, approuva Paul.
Il reste à déterminer à quoi il peut bien servir, ajouta le Dux Reum pour lui-même. 
Une vibration retentit soudain et Lexi frotta son poignet. Aussitôt, une bourrasque d'air s'éleva avant de prendre une forme ovale. Un visage féminin apparut, l'identique de Lexi.  
— Marta, sourit Paul, reconnaissant la jumelle de la céleste.
En tant que jumelle, elles avaient des pouvoirs identiques ainsi qu'une aura dont elles pouvaient user afin de communiquer. L'air étant leur élément de prédilection et servant à convoyer des ondes, elles avaient développé un procédé fort pratique qui ne nécessitait ni télépathie ni technologie humaine. Uniquement la présence de l'une et de l'autre.
Dux Reum, salut Marta en inclinant légèrement la tête.
— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Javier.
Non, pas vraiment, répondit la céleste. Les sabras qui ont réussi à s'échapper ne sont pas encore revenus, si tant est qu'ils le feront.
S'ils rénovaient ce temple, nul doute qu'ils reviendront. Les sabras ne laissent jamais une construction inachevée, intervint Jesus.
Il se mit dans la ligne de mire de Marta et apparut devant ceux qui étaient restés dans la demeure. C'était un homme aux cheveux noirs comme des ailes de corbeau, avec une cicatrice lui barrant le visage, aux yeux bleu acier. Il était affuté comme une lame de couteau et ses mouvements étaient aussi furtifs que ceux d'un chat. Paul ne l'avait pas distingué avant qu'il ne parle. Ce qui était exceptionnel pour un humain.
— Je suis d'accord, ils finiront par revenir, confirma Paul. Mais nous devons absolument savoir ce qu'ils comptaient faire. À quoi servait ce temple aux temps anciens ? Sacrifices humains ? Invocations ?
Les défendeurs du clan de Javier se regardèrent mais apparemment, ils n'en savaient rien.  
— On a entendu parler de certains rites sanglants, comme partout ailleurs sur l'ancien territoire de la fédération muisca ou des tribus chibchas mais... rien de bien spécifique à ce temple, finit par dire Lexi. Pourquoi celui-là et pas un autre ? Aucune idée.
Paul ne réagit pas mais cette réponse ne le satisfaisait pas. Il s'approcha de nouveau de Naples. Ce dernier, les yeux plissés, s'efforçait de déchiffrer les inscriptions gravées sur le dessous de l'objet.
— Tu trouves quelque chose d'utile ? s'enquit le Dux Reum.
Naples soupira mais répondit néanmoins.
— Pour l'instant pas grand chose. Sauf que cet objet est sans doute vieux de plusieurs siècles. Cependant, il n'est pas resté sur Terre. Il a sans doute été emporté à Subterraneis où il continuait à servir. Il présente des traces d'usure à plusieurs endroits, indiqua le défendeur en montrant à son compagnon différentes marques. S'il était resté sur Terre, dans les ruines ou autres, des chercheurs auraient fini par mettre la main dessus. Mais ils n'ont jamais trouvé quelque chose comme ça.
— Et toi ? Ça ne te dit rien ?
Naples ne répondit pas tout de suite ce qui donna l'espoir à Paul qu'il avait peut-être une piste.
— Je ne sais pas trop, finit-il par admettre. Je n'ai que peu de souvenirs des pratiques de l'époque et pas toujours des souvenirs heureux. Je n'ai pas vraiment l'impression qu'ils utilisaient des objets quelconques... peut-être... Non, je ne sais pas. C'est souterrain en tout cas, ça c'est certain. Peut-être réalisé par un artisan humain mais la conception est souterraine.
On ne sait pas à quoi ça sert alors ? fit Jesus.
Lexi s'était rapprochée des deux compagnons et Naples secoua la tête.
— Les inscriptions sont assez floues. Elles rendent hommage à Belzébuth et promettent la gloire de Subterraneis et la soumission des humains. Des banalités.
Jesus jura. Naples ne réagit pas. Il aurait aimé avoir plus d'indications mais l'objet était relativement mystérieux et les inscriptions purement décoratives. Ce n'était qu'un vulgaire disque un peu épais avec un diamant jaune en son centre et quelques aspérités. Il fronça les sourcils et observa de nouveau ces aspérités. Il passa le doigt dessus et constata qu'elles étaient lisses, légèrement polies. Quelque chose s'enclencha dans sa tête.
— Vous l'avez trouvé par terre ? demanda-t-il à Javier.
Le défendeur hocha la tête.
— Dans une mare de sang, confirma-t-il.
— Il pourrait servir de contenant ? tenta Paul. Il « boirait » le sang des victimes ?
Naples fit la moue, peu convaincu.
— Peut-être, je ne sais pas. Jesus, Marta, est-ce que sur l'autel ou sur les parois du temple, il y aurait une cavité de la taille de ce disque ?
Les deux défendeurs sur place se regardèrent puis se mirent à chercher. Paul s'approcha encore de Naples, veillant toutefois à respecter une certaine distance.
— Tu penses à quoi ?
— Je ne suis pas certain mais peut-être une espèce de clef ou un déclencheur de sortilège. Peut-être un portail.
Le Dux Reum regarda son compagnon et se mit à échafauder des hypothèses.  

Capitolo 4

Jesus passa sa main sur les murs, enlevant la poussière des siècles et la végétation luxuriante qui avait pris pied sur la construction. Une chouette hulula et Marta sursauta. Comme sa sœur, elle était hyper sensible à l'aura souterraine des bâtiments. Il lui lança un regard encourageant et elle se remit au travail. 
Une cavité..., se concentra-t-il en s'approchant de l'autel. De la taille du disque. Il remarqua que la table de sacrifice était moins poussiéreuse que le reste et se fit la réflexion que quelqu'un avait dû la nettoyer avant de pratiquer... quoi qu'il fut pratiqué ici. C'est bien souterrain de faire le ménage avant de tout saloper..., se dit-il. 
Il suivit les trainées de sang parmi les rigoles encadrées de sculptures et d'inscriptions. Il n'y comprenait rien. Il avait essayé d'apprendre à les déchiffrer pendant un temps mais cela l'ennuyait. Et il y avait toujours des experts à consulter alors... ça ne valait pas le coup. Il continua de suivre les sinuosités qui finirent par descendre de la table et rejoindre le sol. Le sang avait charrié une partie des saletés accumulées sur le sol, rendant la piste plus facile à suivre. 
Il s'accroupit et pencha la tête. À quelques centimètres de sa position, il remarqua une anfractuosité plus grande que la rigole. Tous les écoulements semblaient converger vers ce point. Il s'en approcha et remarqua qu'elle formait un cercle, assez grand pour contenir l'objet.
— Marta, regarde ça ! fit-il en pointant du doigt sa découverte.
Sa compagne se rapprocha de lui, toujours suivie de sa ventosité où leurs compagnons attendaient des réponses. Elle examina la cavité et hocha la tête.
— Ça correspond, je dirais, confirma-t-elle.
Jesus ne répondit rien et elle transmit l'information aux autres défendeurs. Naples s'approcha de la ventosité de Lexi et demanda à voir plus précisément. Marta dirigea la ventosité vers la cavité et la fit stationner au-dessus. Elle vit Naples étudier la chose sérieusement, reporter son attention sur l'artéfact puis revenir sur la cavité.
Je dois aller sur place. Ce sera plus simple, affirma-t-il ensuite.
Le Dux Reum acquiesça et, quelques secondes plus tard, ils étaient tous les deux sur les lieux. Naples ne s'attarda pas et regarda rapidement les rigoles de sang puis l'emplacement de l'objet. Il resta plusieurs minutes le regard concentré puis commença à tourner et à examiner le reste du temple. Jesus, Marta et Paul l'observaient, attendant son verdict. 
Il finit par s'accroupir à quelques mètres de l'emplacement de l'objet puis sourit. Il pressa quelque chose sur le sol et brandit un autre artéfact qu'il ramena près de ses compagnons. Paul s'en approcha et constata qu'à quelques différences près, notamment la couleur du joyau, il s'agissait du même objet.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Si j'ai raison..., commença Naples avant de laisser l'objet entre les mains de Paul et de repartir à l'opposé de là où il se trouvait quelques instants auparavant.
Il enleva de la terre et des végétaux avec le pied puis s'agenouilla. Ses compagnons le rejoignirent et aperçurent de nouveau le même objet qu'il extirpa du sol. Seule la couleur de la gemme avait changé. Naples eut un grand sourire.
— On peut avoir une explication ? demanda Jesus.
Ce n'était pas qu'il n'aimait pas les devinettes mais il appréciait quand les explications n'étaient pas aussi longues à venir. Naples comprit son impatience.
— Les rigoles ne sont pas disposées par hasard. Ce n'est jamais le cas. Elles forment en général une ramification complexe qui permet au sang de remplir des endroits précis des temples. La plupart du temps, c'est uniquement pour avoir un réservoir et éviter que le sang ne se répande partout, le... gaspillant. Cela leur servait de garde-manger en quelque sorte. Les souterrains qui ont obligé les humains à construire ce genre de temples étaient prévoyants.
« Parfois cependant, le sang ne servait pas de nourriture. Il y a tout un tas de sortilèges ou d'enchantements souterrains qui ne fonctionnent qu'avec une certaine quantité de sang. Et ça, fit Naples en brandissant l'artéfact, ça en fait partie.
Les défendeurs le regardèrent, surpris. Ils ne s'attendaient pas à cela.
— A quoi cela sert-il alors ? demanda Marta, curieuse.
Naples hésita.
— Je n'ai pas encore la réponse. Ce que je sais, c'est que ces trois artéfacts doivent fonctionner comme des accumulateurs. On les met tous les trois dans leurs cavités qui sont reliées entre elles par ce réseau de canaux. Ensuite on sacrifie l'humain ou l'oiseau sur l'autel dont le sang se répand. Il remplit les rigoles puis vient baigner les artéfacts. Ils chargent leurs puissances et, une fois qu'ils sont tous les trois chargés...
— Cela déclenche un mécanisme ou un sortilège, comprit Paul.
Naples confirma d'un hochement de tête.
— Mais je ne sais pas en quoi il consiste. La magie de sang est une magie ancienne que les souterrains ne pratiquent plus guère. Leur science a évolué pour s'affranchir de tout ça...
Jesus grimaça. L'idée que les souterrains puissent être une espèce en voie d'évolution, bien que vraie, lui était inconfortable.
— Est-ce que tout ça nous donne un indice sur la présence des sabras ? demanda-t-il.
Naples regarda le temple et haussa les épaules en se relevant.
— Je suppose qu'un souterrain a peut-être voulu reprendre certaines expériences de cette magie-là. Ils ont des historiens aussi, des archéologues de la magie... peut-être font-ils partie de ceux-là. Ils ont peut-être essayé de recréer un sort de sang et ils ont eu besoin du savoir faire des sabras pour reconstruire certaines parties. Voyez, une partie des rigoles sont plus neuves. Elles n'ont pas été abimées par le temps.
Il montra la zone où il avait retiré le second artéfact et ils se tournèrent vers elle pour constater qu'effectivement, la végétation dans cette zone était plus rare et les matériaux plus neufs.
— Des historiens ? s'étonna Marta. Sérieusement ?
Naples sourit. L'idée était drôle, effectivement. Mais les souterrains n'étaient pas tous des brutes épaisses. Certaines races étaient très intelligentes. Les scientifiques en étaient la preuve mais il n'y avait pas que la science qui pouvait les intéresser. L'histoire de Subterraneis s'étalait sur des millénaires. Et comme les humains qui cherchaient à connaître le passé, certains souterrains voulaient apprendre ce qui s'était produit auparavant. Évidemment, les découvertes étaient moins variées et se concentraient pour l'essentiel à d'anciens rites ou d'anciennes races tombés en désuétude. 
Naples soupçonnait même certains historiens souterrains de chercher la preuve que les souterrains supérieurs, ceux-là même que les humains nommaient démons, tels Belzébuth ou Lilith, n'étaient qu'une pure invention ou au contraire qu'ils allaient revenir. C'était un des débats les plus houleux parmi les historiens.
— Les souterrains cherchent l'inspiration dans le passé, à l'image des humains. Ainsi qu'à comprendre d'où ils viennent. Comme tout être doté d'intelligence, résuma-t-il. Il ne faut pas oublier que Subterraneis est une véritable cité, avec ses coutumes, ses mœurs, sa langue, son histoire...
De nouveau, Jesus émit un grognement désapprobateur. Bientôt, Naples allait leur parler de la culture souterraine, un magnifique exemple d'art primitif. C'était des conneries.
— Enfin, quoi qu'il en soit, reprit Paul pour couper court à la conversation qu'il sentait devenir houleuse, les sabras risquent de revenir. Ou alors leurs commanditaires. À moins qu'un temple de cette sorte existe ailleurs ?
Naples se mit à réfléchir. Il ne connaissait pas tous les temples d'Amérique du Sud mais la plupart étaient effectivement, comme l'avait déjà souligné Lexi, relativement identiques à celui-ci. Il était incapable de comprendre pourquoi les souterrains avaient ciblé particulièrement celui de Chiquinquirá.

— Je ne sais pas, c'est possible. Mais à mon sens, si le souterrain a pris la peine d'y envoyer des sabras, c'est peut-être parce que les réparations sont moins importantes à faire ici qu'ailleurs. À moins que ça ne soit tout simplement par flemme et par commodité. C'est le plus près du point de passage.
— Pourquoi faire des centaines de kilomètres quand on a un temple à côté ? grommela Jesus.
— C'est ça, confirma Naples.
— Donc, ils vont revenir, conclut Marta.
— Il y a de fortes chances, oui.
— Bon, on sait que ça déclenche un sortilège si les trois artéfacts sont reliés ensemble par le sang d'un sacrifice, résuma Paul. Quelle sorte d'enchantement ?
— Je ne sais pas, soupira Naples.
Il commençait à en avoir marre de ne pas avoir toutes les réponses. Mais plus encore, il aurait préféré qu'on lui laisse le temps d'étudier l'artéfact sans le presser de tous les côtés. Paul s'en aperçut et se tourna vers Jesus et Marta. 
— Le soleil va se lever dans quelques minutes, estima-t-il. Il est peu probable que les souterrains reviennent avant cette nuit. Nous allons passer la journée à essayer de comprendre ce que peut être cet artéfact et puis nous reviendrons ce soir pour empêcher les souterrains de l'utiliser... si toutefois ils reviennent.
— De toute manière, si on prend un des trois objets, ils risquent de ne pas pouvoir mener à bien leur sortilège, c'est ça ? raisonna Javier.
— Le sortilège ne peut fonctionner qu'avec les trois disques, oui, confirma Naples.
— On n'a qu'à tous les prendre dans ce cas, suggéra Cristina.
— Je ne le conseille pas, avoua Jesus. S'ils voient que les trois ont disparu avant qu'on puisse intervenir, on risque de perdre notre chance de comprendre qui étaient ces souterrains et il vont recommencer ailleurs.
— Je suis d'accord. Mieux vaut n'en prendre qu'un pour le moment, confirma Paul et les autres défendeurs hochèrent la tête, se rangeant à son opinion.
— Je vais rester ici, au cas où ils débarquent, continua Jesus.
Marta se tourna vers lui, inquiète.
— Je vais rester avec toi, fit-elle.
Il réprima une remarque désobligeante et hocha la tête.
— Bien, retrouvons-nous ici ce soir, à la tombée de la nuit. En attendant, Naples et moi retournons à Rome pour essayer d'avoir plus d'informations.
Entendu, fit Javier. Bonne chance.
Paul opina puis se téléporta avec son compagnon et un des trois disques. Ils apparurent dans leur salon et entendirent des hurlements s'élever du sous-sol.  

Capitolo 5

Valens soupira.
— Ce n'est pas compliqué à retenir pourtant ! s'énerva Lucia. Si tu mets de la racine de gentiane avec du millepertuis dans une potion de lucidité, ça explose !
Elle râla encore en constatant les tâches qui maculaient sa jupe. Le chaudron avait littéralement volé en éclats, aspergeant toute la pièce de liquide poisseux et odorant. Il y en avait partout, sur les livres, le bureau de Paul, les papiers, les armes... la bêtise de Valens n'avait rien épargné. Et comble de tout, le coupable ne semblait pas en être désolé. Lucia canalisa sa colère. Elle aurait pu le pulvériser sur place.
— Il y a trop de contre-indications à retenir ! J'y arrive pas ! souffla-t-il en croisant les bras sur sa poitrine.
— Trop de contre-indications ? répéta Lucia, incrédule. La plupart des défendeurs les apprennent à l'âge de treize ans ! Tu en as dix-sept !
— Tu dis que je suis stupide, c'est ça ? Tu crois que je le sais pas ?
— Ne fais pas ton adolescent retardé ! prévint-elle. Tu as du retard parce que tu refuses de te concentrer ! Tu as toutes les capacités nécessaires mais tu fais des caprices, comme un gamin pourri gâté. Peut-être que Paul devrait arrêter de te protéger. Cela ne te rend pas service !
Son regard était noir mais elle vit que la critique avait fait mouche. Valens se décomposa. Elle aurait pu éprouver une pointe de remords mais il lui sciait les nerfs. Elle détestait qu'on gâche ainsi le potentiel dont on disposait. Si Valens avait été stupide ou incapable d'apprendre, elle en aurait pris son parti mais ce n'était que de la flemme. Et ça la mettait hors d'elle.
— Dis-moi au moins que tu te souviens de la formule de rangement et nettoyage que nous avons vu la semaine dernière, enchaîna-t-elle sans lui laisser le temps de répliquer.
Il était à bout, c'était visible. Ses poings étaient serrés le long de ses hanches, ses mâchoires crispées et son regard noir était braqué sur elle.
— Si je dis non, tu vas encore dire que je suis un incapable, cracha-t-il.
Elle soupira. Voilà ce qu'elle voulait éviter : qu'il se pose en victime.
— Tu n'as qu'à apprendre ! Et l'utiliser de temps en temps. Pour ranger ta chambre, ce ne serait pas du luxe !
— Merde, Lucia ! Je fais ce que je peux ! C'est trop de trucs à retenir !
— D'accord, tu as un cerveau encore plus débile que la moyenne, ironisa-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Tu te rends compte de ce que tu dis ?
— Tu crois que l'humiliation va m'aider à apprendre ? Tu me connais mal !
— Mais il n'y a rien qui fonctionne ! J'ai tout essayé à part te faire rentrer les formules à coups de pieds au cul ! Tu comptes vraiment foirer tes Epreuves, une nouvelle fois ?
Il allait répondre mais se ravisa. Il n'avait pas envie de subir une humiliation de plus. Il se concentrait autant qu'il pouvait mais tout s'emmêlait dans son cerveau.
— Paul..., reprit Lucia mais Valens fulmina.
Toute la frustration et la colère qu'il avait accumulées jaillirent sans qu'il puisse les contrôler. Il hurla. Comme il n'avait jamais hurlé. Lucia ouvrit de grands yeux, étonnée. Elle pouvait percevoir la rancœur de son compagnon mais elle sentait qu'elle n'était pas dirigée contre elle. C'était quelque chose d'intérieur, un combat qu'il menait contre lui-même. 
Elle recula. Valens devenait rouge mais son cri restait toujours aussi violent, dur et fort.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Paul en arrivant dans le sous-sol.
Lucia regarda le Dux Reum, surprise qu'il soit ici. Mais elle reprit rapidement ses esprits.
— Je ne sais pas. Il... j'ai essayé de le pousser mais...
— Mais quoi ? s'énerva Paul.
Voir Valens dans cet état ne lui disait rien qui vaille. Et l'inquiétude le poussait à la colère. C'était un trait de caractère que ces neuf siècles d'existence n'avaient pas réussi à effacer.
— Il a commencé à hurler...
Visiblement, Lucia ignorait ce qu'il se passait et Paul reporta son attention sur Valens. Il criait toujours mais commençait à suffoquer. Son visage était cramoisi et ses yeux bougeaient dans leurs orbites.
— Il panique, souffla Naples.
— Ça veut dire qu'il ne maîtrise pas ce qu'il se passe, raisonna Lucia. Qu'est-ce que j'ai fais ?
Naples posa la main sur son épaule. Il n'était pas friand des démonstrations d'affection mais il savait quand ses compagnons en avait besoin. D'ordinaire, c'était Cesare qui s'occupait de Lucia mais il n'était pas là. Il devait donc pallier son absence. 
Paul ignora ses deux compagnons et commença à fredonner une formule d'apaisement. Il s'approchait de Valens qui hurlait toujours. Le son monta dans les aigus. Une ampoule sauta, suivie d'une vitre de la bibliothèque. Paul ne se laissa pas perturber et continua sa psalmodie. Lorsqu'il fut assez proche, il attira son compagnon contre lui. Il posa sa main sur sa nuque puis sa formule changea. Aussitôt, Valens s'évanouit. 
Il le retint de justesse et, aidé par Lucia, l'allongea sur un des canapés de leur sous-sol. Il vérifia ses constantes et soupira de soulagement. Le défendeur allait bien. C'était un simple épuisement. Sans doute psychique. Il plongea dans l'esprit de Valens et essaya d'y purger tout ce qui pouvait nuire à sa guérison. Il y avait beaucoup d'idées noires et d'enchevêtrements psychiques qu'il s'efforça de clarifier. Quand il jugea qu'il ne pouvait plus rien faire d'autre, il s'extirpa et revint à lui. 
Il se releva, posa une couverture sur Valens puis se tourna vers Lucia. Au même moment, Cesare descendait dans le sous-sol.
— Ah vous êtes là. Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda le Valentinois en prenant conscience de la scène qui se déroulait devant ses yeux.
Valens était inconscient sur le canapé, Paul à son chevet. Naples était à côté de Lucia qui restait légèrement stupéfaite. Un liquide poisseux semblait avoir été répandu dans toute la pièce. Il se demanda comment tout cela avait pu se produire le temps qu'il aille à la boulangerie. Elle n'était pourtant qu'à deux pas. Il rejoignit Lucia et prit le relais de Naples qui lui céda la place de bon cœur. 
Soulagé, il s'approcha de Paul et Valens.
— Je crois qu'il n'y a plus de danger mais je ne comprends pas ce qui s'est passé, avoua le Dux Reum. Son esprit était en ébullition mais je ne vois pas comment ce hurlement a pu naître ou devenir ce qu'il était. Valens n'a pas ce genre de pouvoir.
Naples hocha la tête. C'était un céleste télépathe mais il n'avait jamais manifesté de pouvoirs soniques jusque là. Ce n'était pas incompatible bien sûr, et certains pouvoirs des célestes pouvaient se manifester plus tardivement. Par conséquent, on pouvoir avoir quarante ans et développer encore de nouvelles capacités.
— Peut-être qu'il est en train d'en développer d'autres, suggéra donc Naples.
Paul le scruta. Il avait envisagé l'option mais cela lui semblait étrange. Il avait sondé Valens. Il n'avait rien vu dans son corps ou dans sa psyché qui aurait pu le pousser à une telle conclusion. Mais il n'avait pas vraiment d'autres options.
— Le fait qu'on le pousse intellectuellement influe sur ses émotions, j'ai déjà pu le constater, intervint Lucia, reprenant ses esprits. Il est toujours irascible et rater quelque chose le mène à la frustration. Si ses émotions sont les déclencheurs de ses pouvoirs, ce n'est pas idiot.
Le Dux Reum hocha la tête. En l'absence d'explications plus convaincantes, il n'avait pas d'autres choix que de l'accepter. Il faudrait de toute manière attendre le réveil du défendeur pour vérifier cette théorie. Si Valens était capable de reproduire le hurlement alors c'était un pouvoir. Autrement... il faudrait trouver autre chose.
— Je crois que les leçons particulières devront être espacées, conclut-il en regardant sévèrement Lucia.
Elle pencha la tête sur le côté, désapprouvant clairement. Elle n'était pas d'accord avec la manière dont Paul traitait Valens. D'accord, il était orphelin et à cause de cela, il avait bénéficié de l'indulgence du Dux Reum pendant les premières années mais elle trouvait que Paul allait trop loin en ce moment. Valens devait apprendre. Ce n'était pas lui rendre service.
— Il ratera encore ses examens, prédit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
Elle coula un regard vers Naples pour chercher du soutien. Il était aussi le professeur de leur compagnon et elle savait, parce qu'ils en avaient discuté à plusieurs reprises, qu'il avait la même opinion qu'elle. Il hocha la tête et ajouta :
— Je pense que Valens a besoin de révision intensive. Il n'apprend que lorsqu'il est soumis à un stress intense. Son cerveau n'a pas la capacité de faire autrement. Par contre, il pourrait apprendre davantage mais il est flemmard. Lui ôter les leçons ne l'aidera pas.
— Il doit d'abord se remettre de tout cela ! trancha Paul d'une voix forte, sans appel.
Naples et Lucia se regardèrent puis secouèrent la tête. Ils ne parviendraient pas à faire entendre raison au Dux Reum. C'était inutile d'insister. Cesare vit la tension et essaya d'aborder un autre sujet.
— Javier avait besoin de notre aide pour quoi ? Vous avez trouvé des informations ?
Paul souffla mais Naples sauta sur l'occasion et exhiba l'artéfact qu'ils avaient trouvé à Chiquinquirá. Ses compagnons le regardèrent, surpris, attendant qu'il s'explique.

— Les sabras qui étaient là-bas travaillent selon toute vraisemblance pour un autre souterrain intéressé par la magie de sang. Il a remis au goût du jour un temple chibcha.
— Fais comme si on ne savait pas ce que c'était, sourit Lucia.
Naples lui rendit son sourire.
— C'était une tribu pré-colombienne. Ils faisaient partie de la fédération muisca et... enfin, vous n'avez pas besoin de savoir tout ça, se morigéna-t-il. Quoi qu'il en soit, ils ont édifié des temples et, dans certains cas, pratiquaient des sacrifices humains ou animaux. Pour ce temple-ci, le sang sacrificiel alimentait un sortilège à base de trois de ces disques fonctionnant en harmonie. Je ne sais pas encore quel était le but de ce sortilège mais je pense pouvoir facilement le découvrir.
— On a des trucs sur les civilisations pré-colombiennes, ici ? s'étonna Lucia, regardant la bibliothèque.
Constatant qu'elle était toujours couverte de potion de lucidité ratée, elle soupira. Elle marmonna quelque chose que ses compagnons ne comprirent pas puis prononça une formule. Aussitôt, le liquide s'extirpa des livres, des murs, des sols, du plafond, des appareils électriques pour venir ensuite remplir une bouteille que la défendeur ferma soigneusement.
— Il y a quelques trucs mais la plupart des sources sont à mon bureau, à l'université, admit Naples. (Il consulta sa montre.) Elle est fermée mais j'ai un accès illimité. Je n'aurais qu'à vous appeler quand j'aurais terminé.
— Je peux venir t'aider, proposa Lucia.
Naples consulta du regard Paul mais le Dux Reum était absorbé dans la contemplation de Valens. Il haussa les épaules puis accepta la présence de sa compagne. Ils remontèrent ensemble alors que Cesare s’apprêtait à subir la compagnie taciturne de Paul. Et il savait que lorsque Valens avait un problème, son compagnon pouvait être très difficile à supporter.  

Capitolo 6

Valens avait un mal de crâne de tous les diables. Sa gorge était en feu. Quand il ouvrit les yeux, il inspira profondément et crut que des milliers de petits éclats de verre venaient lui écorcher la glotte. Il essaya de tousser pour s'en débarrasser mais rien n'y fit. La sensation était tout sauf agréable.
— Ce n'est pas la peine, fit Cesare en reposant le livre qu'il était en train de lire.
Le Valentinois se leva et s'approcha du lit de son compagnon.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? voulut savoir Valens.
Il se souvenait s'être pris le bec avec Lucia dans le sous-sol mais il se retrouvait dans son lit, dans sa chambre avec Cesare comme garde-malade. Ce qui en soi était incongru, c'était toujours Paul qui le veillait d'habitude. Les paroles de Lucia lui revinrent comme un boomerang. Peut-être qu'elle avait vraiment demandé à Paul d'arrêter de le protéger ? Mais il ne pensait pas que le Dux Reum obéirait.
— On ne sait pas trop, avoua le Valentinois en s'asseyant au bord du lit. (Il posa le revers de sa main à plat sur le front de son compagnon.) Hmmm, tu n'as pas de fièvre, c'est bon signe. Tu étais avec Lucia et soudainement, tu t'es mis à hurler. Je n'avais jamais entendu ça. Tu as cassé plusieurs vitres de la bibliothèque et des ampoules aussi.
Valens écarquilla les yeux. Il n'en revenait pas. Il essaya de se souvenir mais tout était flou.
— Comment c'est possible ?
— On suppose que tu es en train de développer une nouvelle capacité, en rapport avec les sons. C'était un peu violent pour une première fois mais...
— Une nouvelle capacité ? J'ai dix-sept ans ! Mes pouvoirs se sont tous développés quand j'en avais cinq ou six.
— Tu es céleste, l'âge n'a aucune importance. Certains pouvoirs se déclenchent quand ils veulent ou bien quand leur porteur en a besoin. Il faut croire que crier n'a jamais été important pour toi. Sauf depuis ces derniers jours.
Valens se mit à réfléchir. Il avait toujours été du genre à parler avec ses poings plutôt qu'avec sa voix. Avec sa télépathie, il pouvait communiquer à distance. Paul le pensait capable d'entrer dans l'esprit des gens pour y récupérer des informations mais il manquait de concentration. Comme pour tout le reste, se rappela-t-il, songeant aux réprimandes continues de Naples et Lucia. 
Quand il échouait à quelque chose, il allait passer ses nerfs sur les mannequins de bois avec une ou deux épées. Mais depuis quelques temps, ses « précepteurs » ne le laissaient pas s'échapper ainsi. Les disputes s'enchaînaient, la frustration grandissait, il élevait la voix de plus en plus. Peut-être que Cesare avait raison finalement. Son corps s'était adapté.
— Où est Paul ? demanda-t-il après quelques secondes.
— Au sous-sol. Il cherche une autre explication. Lui non plus ne croit pas en l'émergence d'un nouveau pouvoir.
Valens s'en étonna. Mais décida qu'il fallait qu'il ait une discussion avec le Dux Reum. Il rejeta le drap et se leva. Vêtu uniquement d'un bas de pyjama, il rejoignit son compagnon dans le sous-sol. Cesare ne le suivit pas, comprenant qu'ils allaient avoir une conversation personnelle. 
Valens retrouva Paul à son bureau, compulsant des ouvrages dont il savait qu'il n'arriverait pas à déchiffrer la première page. Son infériorité lui pesa mais il se morigéna. Ce n'était pas le moment. À son arrivée, le Dux Reum leva la tête et sourit, soulagé de le voir debout.
— Comment tu te sens ? demanda-t-il.
Valens haussa les épaules. Il avait encore mal à la gorge mais apparemment, il devrait sans doute s'y habituer.
— Ça va, répondit-il. Cesare m'a expliqué que j'étais en train de développer des pouvoirs.
Paul grogna. Valens sut qu'il n'était pas convaincu. Après douze ans de cohabitation, il finissait par savoir comment réagissait son père adoptif.
— Tu n'y crois pas ? demanda-t-il néanmoins.
— Je ne sais pas. Je pense plutôt qu'il y a une autre explication, fit Paul en se levant pour aller chercher un autre livre. Je suis en train de regarder l'effet que peut avoir la potion de lucidité mélangée avec la gentiane et le millepertuis.
— Si c'était ça, Lucia aurait eu la même chose, raisonna Valens. Je pense qu'ils ont raison. Je développe une nouvelle capacité. Pourquoi tu ne veux pas y croire ? Tu penses que je vais encore tout foirer ?
Paul soupira et lança un regard douloureux sur son compagnon. Cela n'avait rien à voir.
— Non, Valens. Je pensais que tu en avais terminé avec tes pouvoirs, que tu pouvais...
— Me concentrer sur autre chose ? devina-t-il. Comme ce foutu savoir défendeur ?
— Je sais que c'est difficile pour toi d'étudier. Et si tu dois en plus apprivoiser un nouveau don...
— Merci de me faire confiance, lâcha Valens, vexé.
Il croisa les bras sur sa poitrine et Paul s'approcha, contrit.
— Je ne veux pas te surcharger, tu comprends ? J'aimerais que tu puisses aller à ton rythme.
— Peut-être que c'est à cause de ça que je n'y arrive pas ! s'énerva Valens en s'écartant du Dux Reum. Tu essaies de te mettre à mon rythme, Naples et Lucia me poussent dans mes retranchements et j'apprends ! Lentement c'est vrai mais j'apprends ! Peut-être que tu devrais me faire confiance !
— Je te fais confiance ! assura Paul, surpris de l'animosité qu'il sentait chez son compagnon.
— Tu me prends pour un gamin fragile ! C'est vrai que j'ai vécu dans la rue, que je suis orphelin et que ma vie n'a pas toujours été rose. Mais ça sert à rien de me ménager ! Lucia a raison. Tu devrais arrêter de me protéger !
Il tourna les talons, furieux, laissant Paul hébété. Le Dux Reum sursauta quand il entendit la porte claquer et soupira longuement. Il s'efforça de penser que c'était encore l'adolescence qui parlait, le déchaînement des hormones, mais une petite voix lui disait qu'il se trompait. Il prit une chaise et s'assit. Il était épuisé soudainement. 
Il se souvenait encore du jour où il avait trouvé Valens. Un gamin de quatre ans qui faisait leur poubelle pour se nourrir. Il vivait avec des chiens de rue. Paul n'avait jamais su s'il les avait apprivoisés ou si c'était eux qui l'avaient adopté. Sa mère l'avait abandonné et le gamin s'était débrouillé. Le Dux Reum ignorait à quel âge il s'était retrouvé dans la rue. 
Il avait perçu sa condition de céleste et avait essayé de le persuader d'entrer dans le clan. Mais Valens n'avait confiance en personne. Il avait fallu faire preuve de temps et de persévérance pour qu'il accepte, ne serait-ce que la présence silencieuse de Paul. Un an plus tard, il s'était laissé convaincre de rentrer dans la maison pour prendre un repas chaud. Six mois plus tard, c'était la douche. Mais il vivait toujours dans la rue. 
Et puis ses pouvoirs s'étaient développés, la télépathie et la perception des auras. Le gamin effrayé n'avait pas eu d'autres choix que d'accepter son aide. Les chiens étaient restés un peu puis ils étaient partis. Valens prétendait qu'il leur avait dit de partir, qu'ils n'étaient pas fait pour la domestication. Paul avait compris que la télépathie de son compagnon ne marchait pas que sur les humains et qu'il communiquait avec les animaux.
À présent, cela faisait douze ans. Mais Valens avait conservé son côté farouche. 
Peut-être ai-je été trop indulgent, se dit Paul. Je n'ai jamais accepté que Lucia, Naples ou Cesare le poussent comme n'importe quel autre gamin. C'est ce que j'avais fait pour Kyle et Kris. Et je n'aime pas le résultat. Kris s'en sort bien, évidemment mais Kyle... est rempli de rancoeur et de rancune envers lui. Je ne voulais pas que cela arrive avec Valens. Ma peur m'a sans doute conduit à une erreur de jugement. 
Il soupira. Il espérait se tromper.
***** 
— Tu sais, à chaque fois qu'on vient à l'université, je m'attends à voir débarquer une étudiante qui viendrait te faire du gringue, sourit Lucia.
Naples releva la tête du livre qu'il était en train de regarder et observa sa compagne.
— Oh, allez ! C'est connu, non ? Tu n'as jamais vécu ça ?
— Non, admit-il.
Elle fit la moue, visiblement déçue.
— C'est dommage. Dans Indiana Jones, il a toujours des filles autour de lui.
— C'est un film, Lucia. Ce n'est pas la vraie vie. Les étudiantes sont ici pour étudier et apprendre, pas pour sauter sur leur professeur.
Elle haussa un sourcil.
— Mouais... c'est pas parce qu'elles te draguent pas qu'elles le font pas à d'autres. Et puis, je suis persuadée que tu ne saurais même pas si on te draguait.
Naples réfléchit quelques secondes et se rendit à l'évidence. Elle n'avait pas tort. Peut-être que c'était déjà arrivé mais qu'il n'y avait pas fait attention. Sa compagne s'étira.
— Le soleil est levé depuis longtemps et on n'a rien trouvé, soupira-t-elle en s'approchant de lui. (Elle s'appuya sur son bureau et se pencha pour lire par-dessus son épaule). Javier va être déçu. Tu as quelque chose ?
— Je ne sais pas trop, avoua Naples. Peut-être. D'anciens textes qui parlent d'un rite triangulaire avec trois soucoupes sacrées. Quelque chose d'assez obscur, sensé changer la nature de celui qui le pratique.
— Changer la nature ? C'est-à-dire ? Tu étais méchant et tu deviens bon ?
— Plutôt l'inverse, connaissant les souterrains. Ils cherchaient peut-être à convertir des humains en souterrains.
— Pas besoin de magie de sang pour ça. Fais leur boire le sang de n'importe quel souterrain, tu auras forcément une transformation génétique. Parfois, il n'y a même pas besoin de transfert de sang, des contacts répétés et des échanges de fluides suffisent à influencer l'ADN humain.
Naples ne rajouta rien. Lucia savait de quoi elle parlait. C'était la séquestration par un incube et les viols répétés qui l'avaient changée en ce qu'elle était.
— Peut-être que c'est plus compliqué que cela, lâcha-t-il finalement.
— Le rituel aurait un effet sur la personne qui en bénéficie, dans tous les cas.
Naples acquiesça. Ils avaient encore besoin d'informations mais c'était déjà un bon début.
— C'était courant ? demanda sa compagne. Enfin, je veux dire... les temples de ce style avaient ce genre de pouvoir ?
— Pas tous, réfuta Naples. La plupart n'étaient pas dotés de sortilèges particuliers. Je pense que les souterrains, quand il y en avait, ce n'était pas le cas partout, se servaient des sacrifices pour récolter du sang humain et s'en abreuver. C'était aussi trivial que cela. Certains étaient exploités par des souterrains plus évolués et donc des sortilèges de sang étaient inclus dans la conception des temples. Mais beaucoup d'entre eux n'étaient plus utilisés. Les temples sont anciens, bien plus vieux que la colonisation espagnole. Les rites souterrains s'étaient déjà éloignés de la magie de sang.
Lucia allait dire quelque chose mais on frappa à la porte. Les défendeurs se regardèrent puis Naples haussa les épaules.
— Entrez !
Leo apparut avec un grand sourire qui s'effaça quand il vit Lucia.
— Je suis désolé, je ne voulais pas vous déranger.
— Un bel homme comme vous ne me dérange jamais, fit Lucia d'une voix envoutante, se redressant pour mettre en avant ses atouts.
Naples leva les yeux au ciel. Il savait que c'étaient les hormones de sa compagne qui parlaient mais cela risquait d'être gênant. D'autant plus que Leo semblait amusé. Ce qui ne l'empêcha pas d'enchaîner.
— Je ne savais pas à quelle heure je devais arriver, alors je me suis dit que la première heure était sans doute la bonne, sourit-il en entrant dans le bureau.
Ses yeux se posèrent sur l'objet que les défendeurs avaient amené et il pencha la tête sur le côté. Naples se prépara à l'inévitable question.
— C'est colombien, non ? D'où ça vient ? demanda Leo en bon historien, dévoré de curiosité. 

Capitolo 7

Jesus soupira en voyant le soleil se coucher derrière les montagnes. L'air frais s'insinua sous sa veste et il la referma en frissonnant. Il regarda en direction de Marta. Elle était en train de jouer sur son portable. Il sourit. Ce n'était pas de son âge et il n'était pas assez humain pour apprécier les joies de la technologie. Mais quand les jumelles étaient arrivées, un certain vent de fraicheur avait soufflé sur leur clan. 
Les célestes étaient joyeuses, riaient beaucoup même si elles avaient eu du mal à s'adapter. Elles venaient du clan de Washington où elles avaient effectué leur apprentissage durant leur Epreuve. Deux pays différents. Et même si les préoccupations des défendeurs étaient les mêmes partout, les coutumes et la façon de faire étaient différentes. 
Elles avaient obtenu leurs Bénédiction à la dernière Réunion du Solstice et Javier les avait accueillies dans son clan. Cela faisait donc six mois qu'elles vivaient avec eux mais elles s'étaient déjà affirmées dans l'équipe. 
Marta leva les yeux et il se rendit compte qu'il ne faisait que la fixer. Elle lui adressa un grand sourire. Il se détourna. Il savait trop bien ce qu'elle attendait de lui. Mais il se trouvait trop vieux pour elle. Il ne bénéficiait pas d'une longue vie. Le poids de ses années finirait par peser, même si pour trente-huit ans il s'estimait encore jeune. Mais Marta n'en avait que vingt. C'était trop jeune. Mais elle essayait quand même. Qu'avait-il à lui offrir ? Pas grand chose. 
— Les sabras ne vont pas tarder, jugea-t-elle en s'approchant de lui.
Elle effleura son bras en s'installant près de lui. Elle était vraiment douée.
— Tiens-toi prête, confirma-t-il en dégainant son sabre.
Elle hocha la tête et fit apparaître un petit tourbillon au creux de sa main.
— Tu n'as pas eu de nouvelles de Javier ou de Paul ? demanda-t-il.
— Non, fit-elle avant de consulter son portable une dernière fois. Ils n'ont peut-être rien trouvé ou alors ils ont besoin de plus de temps.
Il ne répondit rien et se contenta de se tourner vers la ruine qui contenait la stèle de passage entre Subterraneis et la Terre. Une lumière rouge les alerterait sur une téléportation quelconque. Il n'était pas vraiment rassuré à l'idée que Paul n'ait encore rien trouvé sur ce temple ou le rituel. Il ne pouvait donc pas prévoir ce qui viendrait en plus des sabras. 
Près de lui, Marta effectua des gestes avec ses mains et une ventosité de communication apparut. Lexi et Javier les saluèrent d'un geste. 
— Des sabras sont arrivés ? 
— Pas encore. Des nouvelles de Paul ? s'enquit Jesus.
Naples a appelé pour nous dire que le sortilège est probablement un transmuteur d'ADN mais il n'a pas encore compris le fonctionnement complet. Est-ce pour transformer de l'ADN humain ? Ou bien du souterrain ? Ou du céleste ? Il n'en sait rien. 
— C'est pas vraiment important pour l'instant, si ? raisonna Marta. Après tout, on veut juste savoir quel type de souterrain pourrait être intéressé.
Jesus approuva ses paroles. Il n'en pensait pas moins. Et si c'était véritablement un transmuteur d'ADN, seul un scientifique pur et dur pourrait être le complice des sabras. Ils avaient l'embarras du choix en la matière mais cela était bon signe. Les nombreuses races scientifiques étaient en général de piètres combattants, même s'il y avait quelques exceptions comme les karlz. Les sabras seraient sans doute plus redoutables. 
Javier allait répondre mais une lueur alerta Jesus. Les souterrains arrivaient et vu l'intensité de la lumière, ils étaient nombreux.
— Javier, ramène-toi ! fit-il avant de s'avancer.
Marta coupa la communication et emboita le pas de son compagnon. Elle chargea ses pouvoirs et prit une profonde inspiration. Elle se rappela les capacités des sabras. Pétrification, force, intelligence, construction. Elle devrait sans doute se méfier de la pétrification et de leur force. 
Les premiers souterrains jaillirent du temple d'en face. La vision des deux défendeurs ne les effrayèrent pas et ils continuèrent leur chemin. Jesus fit faire un moulinet à son sabre qui s'allongea soudainement pour devenir un gundao, une de ses lances chinoises. Il courut au devant des souterrains et fonça dans leurs lignes. Il pourfendit un sabras en lui lacérant le thorax puis, d'un mouvement rapide, se retourna pour en égorger un autre. 
Marta le rejoignit et envoya une bourrasque de vent sur deux sabras qui s'envolèrent avant de retomber violemment sur leurs congénères. Elle virevolta en évitant une pétrification et envoya deux shurikens se planter dans la tête de son adversaire. Elle se réceptionna souplement puis se redressa et fit voltiger un souterrain. Jesus l'acheva en plantant la pointe de son gundao dans son thorax. 
Les défendeurs se regroupèrent et remarquèrent que les sabras hésitaient maintenant à les attaquer. Quatre des leurs venaient de mourir. Marta essaya de comprendre pourquoi. La plupart des souterrains attaquaient jusqu'à ce qu'ils soient tous morts. Mais les sabras avaient visiblement un instinct de survie plus développé.
— Ils essaient de voir si la construction qu'on leur a demandé en vaut la peine, murmura Jesus.
Marta acquiesça en se souvenant que les sabras formaient une corporation dirigée par un directoire. Les souterrains pouvaient les embaucher mais ils restaient des sous-traitants et non des serviteurs. Ils n'obéissaient pas aveuglément, ne risquaient pas leur vie impunément.
— S'ils estiment qu'ils sont mal payés, ils vont simplement partir ? chuchota-t-elle pour être certaine d'avoir tout compris.
— Exactement.
Marta fit la moue. C'était étrange mais pour une fois, elle n'allait pas se plaindre.
— Qu'est-ce vous faites ? hurla soudainement quelqu'un en souterrain.
Jesus se remit en position d'attaque, raffermissant sa prise sur son gundao. De l'ombre, une silhouette émergea. À sa hauteur, le défendeur sut exactement à quoi ils allaient avoir affaire. Il fit signe à Marta de reculer un peu alors que le souterrain émergeait de l'ombre. 
Comme prévu, un elenarsus s'approchait d'eux. Il fut suivi par deux autres. Ils faisaient près de trois mètres de haut et étaient littéralement des montagnes de muscles. Jesus n'en avait jamais combattu et il commença à élaborer une stratégie.
— Bon sang ! s'exclama Marta.
Elle posa machinalement sa main sur le bras de son compagnon. Il aurait pu s'en dégager mais il n'en avait pas le cœur.
— Ta ventosité est toujours là ?
Elle hocha la tête, incapable de détacher son regard des souterrains devant eux. Comme si elle l'avait convoquée, la ventosité se positionna devant elle.
— Javier, je crois qu'on a besoin de renforts, fit Jesus. Elenarsus en approche.
On est sur la route, confirma son compagnon.
Jesus soupira de soulagement. Il ne se voyait pas combattre trois elenarsus tout seul avec Marta. La céleste était puissante mais manquait encore un peu d'expérience. Le défendeur reporta son attention sur les souterrains. Pour le moment, ils ne semblaient pas se préoccuper d'eux mais tout cela pouvait changer. Jesus tendit l'oreille pour percevoir ce qu'ils se disaient.
— Pourquoi vous n'avancez pas ? lâcha le premier elenarsus.
— Les défendeurs nous bloquent le passage. Ils ont déjà abattu quatre des nôtres, répondit un sabras, visiblement le chef de la délégation. Sans parler des autres d'hier.
— Et vous n'arrivez pas à mater deux défendeurs ? se moqua un deuxième elenarsus.
Le sabras s'approcha de lui, menaçant. Le premier elenarsus s'interposa.
— C'est bon, on va vous dégager le passage.
En entendant ça, Jesus serra les rangs avec Marta.
— Ils vont charger, prépare-toi.
— C'est quoi leur point faible ?
— Leur taille, leurs poids... mais on ne peut pas vraiment dire qu'ils ont des points faibles. Les elenarsus ne sont pas connus pour être des faiblards. On les connait mal parce qu'ils ne s'attaquent pas souvent aux humains et qu'ils viennent rarement sur Terre. À croire que ceux-ci aiment se distinguer.
Marta allait répondre mais les souterrains étaient trop proches et elle dut d'abord se défendre. Elle projeta une bourrasque d'air sur le premier elenarsus. Contrairement à ce dont elle avait l'habitude, cela stoppa sa progression mais ne le fit pas s'envoler. À peine cela l'obligea-t-il à fermer les yeux. 
De son côté, Jesus n'avait pas attendu et s'était déjà porté en avant d'un souterrain. Il rétrécit son sabre et, évitant les bras de son adversaire par un roulé-boulé, il passa derrière lui pour lui trancher l'arrière des genoux. L'elenarsus ploya mais ne tomba pas. Il balaya derrière lui d'un grand coup de bras et Jesus ne put éviter l'impact. Il fut projeté à plusieurs mètres et heurta le mur d'une des maisons en ruines. Il s'effondra sur le sol, inconscient. 
Marta cria et courut pour voir si son compagnon était encore en vie. Ce n'était pas viable stratégiquement, elle le savait, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle évita les bras des elenarsus et s'accroupit au chevet de Jesus. Il respirait encore et elle soupira de soulagement. Mais les souterrains ne comptaient pas en rester là et s'approchèrent de leur position. 
Elle canalisa toute sa puissance dans ses bras et allait leur balancer une tempête de vent quand Paul apparut, flanqué par Cesare, Naples, Lucia et Valens. Quelques mètres plus loin, Javier, Lexi et Cristina arrivaient en courant.
— Cesare, Lucia, prenez celui de droite. Naples, Valens avec moi sur celui du milieu. Javier prendra le dernier.
Les défendeurs hochèrent la tête et se ruèrent sur leur souterrain attitré. Cesare et Lucia se comprirent d'un seul regard et le Valentinois se pencha légèrement pour faire la courte échelle à sa compagne. Elle n'arrêta pas de courir et posa son pied sur ses mains croisées. Avec une impulsion, il la fit bondir et son élan lui permit de parvenir à la taille de l'elenarsus. 
Elle dégaina sa dague et la planta dans l'aine, s'accrochant comme elle le pouvait. Le souterrain hurla et essaya de se débattre pour se débarrasser de la défendeur. Avec agilité, Lucia évitait ses attaques et, dégainant un autre poignard, se mit à grimper le long du souterrain. 
Il ne lui fallut par longtemps pour atteindre les épaules où elle se hissa. Elle évita de nouveau la main géante de son adversaire puis planta sa dague dans la nuque du souterrain. Ce dernier hurla, se cabra et elle s'accrocha comme elle le put alors qu'il tombait sur le sol. 
Elle sauta souplement quand elle estima la hauteur suffisante et fit une roulade pour se réceptionner. Cesare enfonça la lame de son épée dans l'oeil droit du souterrain pour l'achever et être certain qu'il ne se relèverait pas puis rejoignit sa compagne. Elle lui fit un grand sourire.
— Les doigts dans le nez, hein ? s'amusa-t-elle.
Il ne répondit rien mais secoua la tête, un sourire aux lèvres. Puis ils regardèrent leurs compagnons en découdre avec leur propre adversaire.

Capitolo 8

Cristina enroula sa queue autour de la jambe droite de l'elenarsus et déchargea son électricité. Le souterrain grogna mais cela ne sembla pas lui faire davantage qu'une piqûre de moustique. La défendeur essaya de tirer de toutes ses forces mais l'elenarsus était trop puissant et elle ne réussit pas à le faire bouger d'une semelle. 
Elle hurla de frustration et Lexi vint lui prêter main forte. Elle envoya une bourrasque sur le dos de leur adversaire dans l'espoir de pouvoir le décoller du sol. Javier, comprenant ce que ses compagnes avaient l'intention de faire, passa entre les jambes du souterrain et bondit pour lacérer les tendons des genoux. Le souterrain ploya et offrit une prise aux défendeurs. 
Elles redoublèrent d'effort et le virent trébucher. Il ne tomba pas cependant et se retint à un des bâtiments en ruines. Le mur trembla quand il posa son énorme main dessus mais tint bon. Plusieurs petites pierres chutèrent mais ce fut tout. Il poussa un grognement d'énervement et balaya l'air autour de lui de sa main libre. Javier réussit à l'éviter en bondissant en arrière mais Cristina prit la claque de plein fouet. 
L'elenarsus s'était emparé de sa queue et avait refermé ses doigts dessus. Il balança l'ufitul qui atterrit quelques mètres plus loin dans un craquement sinistre. Voir sa compagne inconsciente énerva Lexi, d'autant qu'elle sentait l'inquiétude de Marta pour Jesus et elle chargea ses pouvoirs plus qu'elle n'aurait crû possible. Elle perçut un afflux d'énergie et sut que Marta, bien que demeurant sur le côté, lui envoyait toute celle dont elle disposait. Elle puisa allégrement dans cette nouvelle puissance et envoya une bourrasque d'air encore plus importante que la précédente. 
Cette fois, le souterrain ploya et resta plaqué contre le mur, une de ses jambes pliée et l'autre tendue, sans vie. Javier en profita pour bondir sur lui, s'aidant de la paroi et sauta pour enfoncer sa lame dans la gueule de l'elenarsus. Il remonta dans le palais puis retira son arme dans une gerbe de sang. Il sauta souplement alors que son adversaire s'effondrait. 
Il soupira puis alla vers Lexi qui s'était laissée tomber à terre, épuisée.
— Je vais bien, juste un peu vidée, assura-t-elle dans un souffle. Cristina ?
Javier hocha la tête puis alla au chevet de l'ufitul. Elle avait plusieurs membres cassés et il jura. Il posa sa lame sur le côté et s'occupa de la soigner. Il remit les os en place, sommairement, louant le fait que sa compagne soit évanouie, puis canalisa son pouvoir de guérison. Il était limité mais il lui permettrait de ressouder les os et de guérir les hémorragies internes s'il y en avait. Pour la douleur, elle dégusterait une fois réveillée. 
Un bruit de combat attira son attention et il se rendit compte que Paul, Naples et Valens étaient encore en train de combattre leur elenarsus. Cela l'étonna et puis il comprit qu'ils voulaient le neutraliser sans le tuer. Sans doute pour pouvoir lui tirer des informations. 
Naples bondit souplement et lacéra la poitrine de l'elenarsus. Il se réceptionna et Valens le remplaça. Une deuxième entaille apparut sur le ventre du souterrain qui rugit. Il se pencha pour essayer d'attraper les deux défendeurs qui lui cherchaient des noises. Naples fit un roulé-boulé et passa entre ses jambes avant de planter son épée dans la cuisse de son adversaire. Ce dernier hurla et ne put éviter Paul qui, après être grimpé sur le toit d'un temple, sauta sur son dos. 
Il ne voulait pas le tuer, aussi se contenta-t-il de planter sa hache dans l'épaule du souterrain. L'elenarsus se cabra, furieux et essaya d'écraser le défendeur. Paul évita de justesse la main puis passa sur l'autre épaule et répéta l'opération, s'assurant de sectionner les tendons pour être certain de neutraliser la fonction motrice du bras. Ce qu'il réussit à faire. 
Pendant ce temps, Naples et Valens s'étaient attaqués aux genoux de l'elenarsus et le souterrain chuta. Il tomba dans un tremblement monstrueux, soulevant des petites mottes de terre. Aussitôt, les défendeurs lui montèrent sur le dos et, à l'aide de lances, le clouèrent au sol, l'empêchant de se lever. 
Paul en profita pour se rendre vers la tête du souterrain et mit son épée en évidence.
— Si tu me dis ce que je veux savoir, j'abrégerais tes souffrances, promit-il en regardant l'elenarsus dans les yeux.
Le souterrain soutint son regard puis vit ses compagnons. Un peu plus loin, les sabras s'étaient déjà éloignés. Ils avaient apparemment décidé que cette mission était foireuse et ne méritait pas davantage d'efforts de leur part. L'elenarsus jura. La douleur était incommensurable. Il avait de multiples blessures mais mettrait sans doute des heures avant d'y succomber. Il haït l'homme en face de lui mais il devait pourtant se rendre à l'évidence. Lui seul pourrait l'aider dans l'état où il était.
— On voulait simplement reconstruire le temple, expliqua-t-il.
— On avait compris, fit Paul, abaissant un peu sa lame. Pour quelle raison ?
L'elenarsus hésita. Mais peut-être qu'un défendeur pourrait le comprendre.
— Il y a un sortilège de sang à l'intérieur, grimaça-t-il.
La douleur avait inexplicablement augmenté.
— Nous savons. Nous avons vu les trois artéfacts qu'il faut charger en sang humain. À quoi ils servent ? C'est un transmuteur génétique ?
L'elenarsus masqua sa surprise. Les défendeurs étaient plus érudits qu'il ne l'aurait parié.
— C'est ça.
— Pourquoi faire ? Vous vouliez transformer des humains en souterrains ? demanda Valens, mauvais.
Paul lui lança un regard de reproche. Il percevait que c'était plus compliqué que cela. Le souterrain secoua la tête comme il le pouvait.
— L'inverse. Nous voulions devenir humains.
Les défendeurs se regardèrent, ébahis. C'était bien la première fois qu'ils entendaient ça.
— Pardon ? fit Paul, hébété.
— Être souterrain, ce n'est pas toujours une bonne chose, souffla l'elenarsus.
— Si tu crois qu'humain c'est une sinécure, lâcha Javier en croisant les bras sur sa poitrine.
— Peut-être pas... mais ils ne risquent pas de mourir à chaque fois qu'ils sortent de chez eux ou parce qu'ils auront vexé la mauvaise personne.
Javier fit la moue. De toute évidence, le souterrain ne connaissait pas bien le monde humain. Certains humains avaient la gâchette facile. Paul s'assit près du souterrain.
— Le sortilège était vraiment capable de vous transformer en humain ? s'étonna-t-il.
Il n'avait jamais entendu parler d'une telle chose. La transmutation génétique il connaissait. Les souterrains ne juraient que par cela. Mais d'habitude, cela consistait à faire évoluer la race vers une version améliorée ou à changer une race en une autre. Il n'ignorait pas non plus que de nombreuses recherches étaient en cours, depuis des millénaires, pour convertir les célestes en souterrains. Les deux entités étant des adversaires séculaires, c'était une arme potentielle comme une autre. Mais jusqu'à présent, elles avaient toutes échoué. Quand à la transformation du souterrain vers l'humain... il n'aurait jamais pu penser que c'était possible. Ou que cela intéresse assez les souterrains.
— Ce n'était pas le cas auparavant, admit l'elenarsus. Mais en le modifiant... nous espérions... tant pis...
Il souffla alors que ses forces l'abandonnaient. Paul posa la main sur sa nuque et broya deux vertèbres. L'elenarsus expira.
— Je suis désolé, murmura le Dux Reum en se relevant.
Il n'aimait pas cette histoire. Les souterrains s'y étaient mal pris mais ils avaient voulu se ranger. Cela lui laissait un goût amer d'avoir été obligé de les tuer. Avec du dialogue, ils auraient peut-être pu trouver une solution. Ensemble. Paul ne manquait pas d'idées ou de moyens pour que les souterrains se rangent.
— Pourquoi nous ont-ils attaqués ? s'enquit Naples, en s'approchant du Dux Reum. Ils auraient dû nous demander de l'aide.
Paul haussa les épaules. Il ne savait pas pourquoi les elenarsus avaient fait ce choix. Ils avaient un rêve mais s'y étaient mal pris. Cela le peinait mais il n'y pouvait plus rien à présent.
— Je n'avais jamais entendu parler de souterrain qui voudrait devenir humain, fit Javier en rejoignant les deux hommes.
— On sous-estime souvent la pression qu'il y a à Subterraneis, fit Paul. Ils sont en compétition constante. Certes, les souterrains peuvent vivre relativement tranquilles mais il faut constamment se défendre et gagner sa place. C'est curieux que des elenarsus aient ressenti le besoin de partir mais... je suppose que chacun a le droit de se sentir mal dans sa peau.
Javier hocha la tête. Il comprenait mais c'était tout de même curieux pour lui. Il n'aurait jamais pu souhaiter être humain. Certaines caractéristiques étaient tentantes mais ils étaient quand même bien trop fragiles, mourraient trop tôt et leur société était globalement à chier. Non pas que Subterraneis était mieux.
— Ils ont tout de même cherché à tuer des humains, rappela Marta d'une voix aigre.
Elle était un peu éloignée, toujours au chevet de Jesus mais avait suivi la discussion. Elle n'arrivait pas cependant à trouver la mort des elenarsus triste ou pathétique. Ils avaient blessé Jesus mais ils avaient aussi la preuve qu'ils avaient tué plusieurs humains pour parvenir à leur fins. Ce n'était pas des êtres qu'elle allait regretter. Et cela l'ennuyait que ses compagnons l'oublient.
— Tu as raison, admit Paul.
Il ne voulait pas s'engager dans un débat sans fin. Certes, les souterrains avaient mal agi mais il aurait néanmoins préféré pouvoir les épargner et trouver une solution convenable. N'en déplaise à Marta.
— Qu'est-ce qu'on fait du temple du coup ? On le détruit ? fit Javier en se tournant vers la construction.
— En aucune façon ! s'insurgea Naples. (L'idée qu'on puisse détruire des monuments historiques, même avec une histoire aussi sinistre que celle de ces temples, lui était tout bonnement insupportable.) Ce qui est dangereux, ce sont les soucoupes. Si on les prend, le sortilège ne sera plus possible. On peut aussi se contenter de combler les rigoles. C'est inutile d'aller jusqu'à la destruction.
Il perçut le regard moqueur de Paul mais l'ignora. Le Dux Reum se moquait assez souvent de sa propension à sauver les monuments humains et surtout à laisser son enthousiasme pour l'histoire déborder ainsi.
— Bon, fit Javier en haussant les épaules. Reste plus qu'à nettoyer, quoi.
— Bordel ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'exclama Jesus en se redressant.
Ses compagnons le regardèrent et de grands sourires s’étirèrent sur leurs lèvres.
— Quoi ? J'ai dis un truc qu'il fallait pas ? demanda le défendeur, surpris.  

Capitolo 9

Valens ferma le livre et essaya de redire la formule dans sa tête. Ça commençait par un nom de poisson... carpe ? Quelque chose comme ça. Il vérifia. Oui c'était ça. Bon, le deuxième mot... un truc qui ressemblait à Dieu... di...
— Valens ? Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda Lucia en descendant dans le salon.
Elle s'était réveillée quelques instants plus tôt, était allée aux toilettes et avait vu de la lumière au salon. Elle s'en était étonnée. Elle avait d'abord pensé qu'ils avaient oublié une lampe. Après leur séjour à Chiquinquirá, ils étaient tous trop fatigués pour pouvoir faire autre chose que se mettre au plumard. 
Mais voilà qu'à peines deux heures plus tard, elle retrouvait Valens sur le canapé du salon. Il sursauta quand elle s'approcha et cacha précipitamment ce qu'il était en train de faire.

— Rien, je... je n'arrivais pas à dormir alors je crois que je vais me mater un film, répondit son compagnon en allumant la télé.
Il se cala dans le canapé mais elle n'était pas dupe. Elle resserra les pans de son kimono en soie puis croisa les bras sur sa poitrine. Elle le scruta. Elle voyait distinctement un grimoire sous le coussin près du bras gauche de son compagnon. Elle n'arrivait pas à tout comprendre mais elle commençait à imaginer ce qui le tracassait.
— Valens, répéta-t-elle, insistante.
Il hésita puis la regarda en soupirant. Il éteignit la télé et sortit le grimoire de sous le coussin. Il le tendit à sa compagne qui s'en saisit. Charmes et sortilèges. De la littérature pour bébé défendeur. Elle eut un sourire.

— Tu révises ?
Elle ne se moquait pas. Elle était surprise, agréablement. Il haussa les épaules, comme si ce n'était pas une affaire importante.

— Tu en es où ? continua-t-elle en s'asseyant près de lui.
Pour se faire, elle dut pousser des boites en carton vides et un paquet de fringues sales. 
— Laisse tomber, je... c'est rien. Une erreur.
— Non, Valens. C'est bien.
— J'ai le cerveau en bouillie, grogna-t-il. Incapable de retenir trois formules.
Elle referma le livre et se tourna vers lui, posant sa main sur la sienne. 
— Valens, tu as toutes les capacités pour apprendre. Ton cerveau n'est pas en cause. C'est toi. Je ne sais pas pourquoi mais tu refuses d'apprendre.
— C'est peut-être que je ne suis pas fait pour les formules, grimaça-t-il.
— Bien sûr que non. Ça n'a rien à voir. C'est rébarbatif d'apprendre tout ça, je le sais. Ça n'a rien de drôle ou de stimulant. Ce sont des formules et des recettes à apprendre par cœur, c'est pire que d'apprendre les dates en histoire.
Il sourit. Il devait admettre qu'elle avait raison. Il aimait entendre les récits des défendeurs précédents mais dès qu'il fallait retenir leur nom, l'emplacement de leur clan ou les dates, l'intérêt disparaissait. 
— On pourrait faire en sorte que ça soit marrant, admit-il.
— Mais ce n'est pas censé l'être, rappela-t-elle. Chacune de ses formules peut te sauver la vie. Le jour où tu es coincé, retenu prisonnier, sans renforts, enchaîné ou privé d'énergie, ces formules peuvent t'aider.
— Je sais, soupira-t-il. Mais mon cerveau refuse de les assimiler.
— Valens, arrête de dire cela. Tu n'as pas un cerveau malformé ou que sais-je encore. Si c'était le cas, tu n'arriverais pas à apprendre de nouveaux mouvements en art martial ou bien à retenir les grandes stratégies. Or, tu y arrives parfaitement.
— Peut-être que je suis juste fait pour être un guerrier, tenta-t-il en faisant la moue.
— Un guerrier qui ne connait aucune formule ou potion n'est pas un guerrier accompli, tança-t-elle. Tu refuses simplement d'apprendre. C'est un blocage psychologique.
— Quoi ?
Elle laissa passer un moment. Elle n'arrivait pas à formuler sa pensée. Avec Naples, ils avaient longuement discuté du cas de Valens. Bien sûr, le fait qu'il soit incapable d'apprendre normalement les avait interpellés. Ils avaient de suite pensé qu'il n'était peut-être pas fait pour être un intellectuel. Mais ses aptitudes en stratégie les avaient détrompés. De plus, quand il suivait encore le cursus d'enseignement humain, il ne s'était pas révélé trop mauvais. 
Il y avait donc autre chose. Un blocage magique aurait été facilement décelable tout comme un mauvais sort ou une malédiction. Paul l'avait suffisamment passé au peigne fin pendant les cours de télépathie pour que ce ne soit même pas la peine de l'envisager. Par contre, un blocage psychologique, plus subtil, aurait pu passer entre les mailles du filet. Naples savait, par expérience professionnelle, que parfois, lorsqu'une personne n'était pas en état émotionnel d'apprendre, il lui était impossible de retenir les choses. Même si elle le voulait. 
Mais comment l'expliquer à Valens ?
— Tu es capable d'apprendre tout ce qui peut te servir pour te défendre de manière violente, en utilisant ton corps et tes aptitudes physiques, commença-t-elle. C'est ce que tu as fait tout au début de ta vie. Pendant quatre ans, tu n'as compté que sur ton agilité et tes compétences guerrières pour survivre. Même si on te dit que le savoir peut aussi t'aider et être d'une grande importance stratégique, tu n'y crois pas. Tu n'en as jamais eu besoin. Peut-être que quelque part, tu as peur d'utiliser autre chose que tes poings pour te défendre, qu'utiliser ton esprit, ta logique, ne te paraît pas naturel et voir même dangereux. 
« Tu y vois peut-être une perte d'espace. Avec toutes ces informations supplémentaires, tu as peut être peur de ne plus avoir assez de mémoires pour engranger d'autres connaissances pratiques. Ce sont des hypothèses, évidemment.
Elle se tut et il la regarda, stupéfait. Il ne s'attendait pas à cela. Et il aurait dû en rigoler. Mais il ne le fit pas. Curieusement, cela lui parlait. Même s'il ne comprenait pas tout. 
— Alors selon toi, à cause de ce que j'ai vécu, je ne serais pas capable d'engranger des connaissances théoriques ?
— Non, ce n'est pas ça. Tu as pu apprendre des choses, suivre un cursus d'enseignement normal... je ne sais pas ce qui déclenche ton blocage mais je pense que c'est lié à l'apprentissage défendeur davantage qu'à l'apprentissage humain. Comme si tu faisais le tri entre les informations essentielles de défense et celles que tu juges inutiles.
— Mais vous m'avez démontré l'utilité des formules, je sais que c'est important de les connaître et que ça peut me sauver la vie. C'est viable stratégiquement. Je devrais donc être capable de les apprendre.
— Intellectuellement, tu comprends. Mais c'est émotionnellement que tu ne comprends pas. Je ne sais pas si j'ai raison mais c'est ce qui me paraît le plus probable.
Il ne dit rien et se mit à réfléchir. Si c'était bien cela le problème, il ne voyait pas comment il pourrait le résoudre. Il avait effectivement toujours vécu davantage avec ses poings qu'en réfléchissant à une autre stratégie. C'était le plus facile quand on était dans la rue et qu'on était trop petit pour parler.
— Comment je peux faire du coup ? murmura-t-il en se penchant en avant.
Sa compagne posa une main sur son dos. 
 — On va y aller pas à pas. Peut-être qu'au bout d'un moment, tu auras un déclic. Essayons de voir s'il y a des formules que tu parviendrais facilement à intégrer, d'accord ?
Valens hocha la tête. Cela lui convenait mais il n'avait pas beaucoup d'espoir. C'était rassurant de savoir qu'il n'avait pas un cerveau incapable d'apprendre mais le blocage psychologique était peut-être pire. Sans compter que ce n'était qu'une hypothèse. Si sa compagne se trompait... 
Elle ouvrit le grimoire et parcourut les pages à la recherche d'une formule non pas simple à apprendre mais d'un intérêt stratégique plus évident. Il aurait le temps d'apprendre celles pour ranger, pour enlever l'eau, pour faire pousser les cheveux... D'habitude, c'était celles-ci qu'on apprenait en premier. 
Les défendeurs étaient souvent recrutés enfants ou adolescents et ces formules pratiques ou pouvant éventuellement servir à faire des blagues étaient rapidement assimilées. Dans le cas de Valens, cela ne fonctionnait pas. Elle décida donc de passer aux formules plus difficiles mais aux applications plus militaires. 
Elle tomba sur celle pouvant réduire les os en bouillie. Elle-même ne s'en souvenait plus. Elle se mit à sourire. Elle faisait la leçon à Valens sur ce qu'il fallait savoir mais en y réfléchissant bien, les défendeurs se battaient davantage avec leurs armes qu'avec des formules. Les sorciers et magiciens en étaient friands bien entendu mais la plupart des défendeurs ne les employaient qu'en dernier recours. Alors que finalement, certaines d'entre elles étaient plutôt sympa. 
— Bon, voyons voir si tu arrives à retenir celle-ci, fit-elle en tendant le grimoire à Valens.
Il le prit, lit le titre de la formule et haussa un sourcil. 
— Je ne savais pas qu'il y avait ce genre de sortilège..., nota-t-il, stupéfait.
— Oui... il y a vraiment de tout.
Valens la scruta et eut un sourire espiègle. 
— Tu l'avais zappée, hein ?
— J'admets qu'elle m'était sortie de la tête. Mais ce n'est pas moi qui doit passer les Epreuves.
— Ça, c'est facile, grommela Valens.
— C'est le privilège d'être un défendeur confirmé, nargua Lucia en se calant plus confortablement dans le canapé.
— Non, mais quand tu as passé les Epreuves, c'était plus simple. À l'âge de pierre, y avait forcément moins de formules à retenir, tacla Valens.
Elle écarquilla les yeux, surprise par la vanne et se redressa.
— Tu as osé me traiter de vieille ?
Il ne répondit pas et se contenta d'un sourire narquois. Elle claqua sa langue contre son palais et lui fila une claque derrière la nuque.
— P'tit con, lâcha-t-elle.

Capitolo 10

Naples considéra longuement le soleil qui se levait derrière les cyprès. Il prit une longue gorgée de café chaud. Il aimait toujours ce moment, quand la ville n'était pas encore tout à fait réveillée, quand ses compagnons dormaient encore... il pouvait avoir l'impression d'être seul au monde. Par moments, c'était nécessaire. 
Il n'avait pas de mérite cela dit, il ne dormait plus depuis quatre siècles. Il méditait pour que son corps récupère mais le sommeil proprement dit, il ne connaissait pas. Ou plus. Mais ses souvenirs étaient flous. Il était trop jeune quand il avait perdu le sommeil. La raison par contre était encore durement gravée dans son esprit et sa chair. Il secoua la tête pour chasser les idées noires qui lui venaient. 
Le moment était trop sacré pour le gâcher avec ça. 
Il termina sa tasse puis prit une profonde inspiration. L'air était frais mais il savait que dans deux mois, il serait étouffant. Il profita de ces derniers moments de fraicheur puis retourna à l'intérieur. Il rassembla ses affaires professionnelles et se prépara à partir.
— Tu vas à l'université ? demanda Paul en descendant les escaliers.
Il évita judicieusement une paire de chaussettes et une basket sur la première marche et referma maladroitement son peignoir.
— Oui, j'ai quelques dossiers d'étudiants à revoir, une réunion et puis un assistant à former.
— Ah oui, le fameux assistant, sourit le Dux Reum.
— Pourquoi fameux ? s'étonna Naples.
Il n'en avait pas encore parlé à ses compagnons et était surpris qu'il ait déjà un surnom.
— Lucia me l'a décrit comme étant assez bel homme.
Naples sourit. Sa compagne était un véritable détecteur de beau mec. Naples ne savait pas si Leo était véritablement bel homme — il ne passait pas son temps à reluquer les autres personnes — mais Lucia cataloguait systématiquement les nouveaux venus entre les beaux et les moches. Traduction : entre ceux qu'elle pourrait se taper avec plaisir et ceux qu'elle se taperait par obligation physiologique.
— Elle ne l'a vu que quelques secondes pourtant, grimaça-t-il.
— Tu sais que c'est plus qu'il n'en faut à Lucia pour apprécier ou pas un représentant du sexe masculin, s'amusa Paul.
— J'espère qu'elle ne prendra pas ce prétexte pour venir plus souvent à l'université, souhaita Naples. La dernière fois qu'un de mes collègues lui avait tapé dans l'oeil...
Il grimaça à ses souvenirs. Elle l'avait aguiché pendant un bon moment, parce qu'il résistait visiblement. Puis, une fois qu'elle avait eu ce qu'elle avait voulu, elle ne l'avait plus recontacté. Naples avait dû subir pendant des mois des demandes incessantes de sa part. Il voulait savoir s'il pouvait transmettre un message, des fleurs puis des insultes. Il n'avait pas du tout envie de revivre cela.
— Il faudra peut-être le lui rappeler, fit le Dux Reum.
Naples leva les yeux au ciel. Il imaginait déjà la conversation. Elle promettait.
— J'y vais. Bonne journée, dit-il avant de sortir.
À toi aussi, confirma Paul en fermant la porte derrière lui.
Le défendeur s'enfonça dans les rues romaines et arriva à l'université quelques minutes plus tard. Il rejoignit son bureau et soupira devant l'amoncellement de documents. Il se souvint que la veille, Lucia et lui avaient compulsé longuement les livres et que Leo était même venu leur prêter main-forte, bien qu'il n'ait pas tout compris. 
Il était persuadé qu'ils étaient en train de chercher des informations sur cette poterie mais rien de plus. Heureusement, Paul les avait appelés quelques instants seulement après son arrivée pour les prier de venir rapidement. Ils étaient ensuite partis aussitôt pour la Colombie. Leo n'avait donc pas eu beaucoup de temps pour étudier l'artéfact et se rendre compte que les symboles gravés dessus n'étaient pas une langue connue. 
Naples ne se voyait pas non plus lui expliquer ce qu'était le souterrain. Comme Naples avait verrouillé son bureau, Leo n'avait pas pu avoir accès à l'objet de nouveau. Naples se fit la réflexion que si l'assistant ferait l'affaire, il devrait faire attention à ce qu'il emmènerait au bureau dorénavant. Il serait plus judicieux de prendre les livres et de les emporter à l'hôtel plutôt que d'amener des artéfacts souterrains dans une université remplie d'historiens curieux. 
Du reste, c'est ce qu'il faisait ordinairement quand il avait un assistant. Cela n'était plus arrivé depuis quelques années mais il pourrait aisément s'y réadapter de nouveau. Il soupira et se mit à ranger rapidement les différents traités et livres dans sa bibliothèque. 
Quand ce fut fait, il s'aperçut qu'il n'avait toujours pas regardé le CV de Leo et s'assit à son bureau pour ouvrir son ordinateur. Il consulta ses mails et ouvrit la pièce jointe attachée à celui de Leo. Il passa outre le message amusant qu'il avait cru bon de devoir laisser. Cet homme faisait preuve d'un humour particulier mais Naples n'était pas certain de l'apprécier. 
Le CV de Leo apparut et Naples le parcourut rapidement. Il fut agréablement surpris. Leo avait tout d'un baroudeur et il avait effectivement roulé sa bosse mais il n'avait pas négligé sa formation. Il avait participé à plusieurs chantiers de fouille, dans le sud de la France, au Maroc, en Ethiopie, au Brésil, au Chili et en Colombie. En plus de l'italien, sa langue maternelle, il parlait couramment l'anglais, le français, l'espagnol et le portugais ainsi que le latin, le grec ancien et l'araméen. Il avait des notions en russe, chinois, hébreu et arabe. Il avait un doctorat d'histoire de la faculté de Florence ainsi qu'une double maîtrise en archéologie et histoire de la Sorbonne qu'il avait dû faire pendant sa thèse. 
Ses travaux tenaient sur deux pages, essentiellement des interventions en colloque et séminaire mais aussi quelques articles intéressants que Naples se surprit à vouloir feuilleter. Concernant ses activités universitaires, il avait été chargé de cours à plusieurs reprises, à l'université de Turin et de Milan. Apparemment, il était apprécié des étudiants s'il en croyait les lettres de recommandations plus que chaleureuses des professeurs qui lui avaient confié leurs matières. 
Naples se rejeta sur son fauteuil. Cet homme avait de multiples cordes à son arc et semblait parfaitement savoir les utiliser. Pour le première fois, le défendeur se dit que peut-être il pourrait avoir confiance. Ce qui était nécessaire puisqu'il souhaitait l'envoyer en tant que responsable pour les fouilles qui allaient s'ouvrir en Colombie. 
On frappa à sa porte et sans qu'il sache bien pourquoi, Naples sut que c'était Leo. Il referma son ordinateur puis cria « entrez ». Comme prévu, Leo apparut avec un grand sourire aux lèvres.
— Bonjour, professeur, fit-il en pénétrant dans le bureau. J'ai apporté des croissants et du café. Je me suis dit qu'on en aurait besoin.
Naples fronça les sourcils. De quoi parlait-il ?
— Je ne savais pas ce que vous aimiez alors j'ai pris un café noir et un café crème. J'aime les deux donc prenez celui que vous voulez, affirma-t-il en posant les deux gobelets en cartons sur le bureau. Pareil pour les viennoiseries.
— Merci mais... pourquoi devrait-on avoir besoin de café ?
Leo le regarda, stupéfait. Puis il sourit.
— C'est une blague ? Un bizutage dont je ne suis pas au courant ?
Naples ne releva pas mais lui lança un regard sévère. Il n'était pas d'humeur à plaisanter. D'autant qu'il avait une tonne de dossiers à lire et à noter, sans parler d'une réunion qui s'annonçait soporifique avec le président de l'université pour préparer l'année universitaire prochaine. Il n'avait donc pas le temps de faire de l'humour. Leo sembla le percevoir et jeta un regard appuyé sur l'objet souterrain. 
Naples s'en voulut de ne pas l'avoir ramené à l'hôtel en même temps qu'ils étaient partis. Maintenant, la curiosité de son assistant était piquée. 
— On va continuer les recherches sur cet objet, non ? Hier, vous êtes parti vite et je ne vous ai pas vu de la journée ensuite. Vous avez dû avoir des informations !
Naples voulut démentir et chercha un moyen de couper la curiosité de Leo. Avant qu'il ait pu faire un geste de mise en garde, Leo prit la soucoupe entre ses mains et commença à l'observer.
— C'est fascinant, murmura-t-il. On dirait que...
Leo s'interrompit et Naples se leva. Le défendeur avait senti une onde particulière, quelque chose auquel il ne s'attendait pas.
— Leo, vous devriez lâcher ça, conseilla-t-il d'un ton ferme.
Il s'approcha doucement de son assistant, fasciné par la soucoupe. Et puis, les symboles gravés se mirent à rougeoyer et Leo hurla. Naples bondit et lui arracha la soucoupe des mains. Il la posa sur le bureau et les symboles s'éteignirent. Il se demanda pourquoi mais un cri de Leo le força à se concentrer sur lui.
Son assistant regardait le bout de ses doigts où perlaient des gouttes de sang.
— Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Ça a des piquants ? J'ai pas vu...
Naples ne répondit pas et se tourna vers l'objet pour l'observer plus attentivement. Il l'avait manipulé un nombre incalculable de fois et il n'avait jamais réagi comme cela. Les résidus de la magie de sang avaient-ils agi avec le sang humain, provoquant une réaction en chaîne ? Le récipient se gorgeait-il de sang humain dès qu'il en trouvait à proximité ? Ou bien était-ce autre chose ?
— Euh... Professeur ? appela Leo et Naples se tourna vers lui. Je comprends pas bien là...
Ses blessures avaient disparu comme si elles avaient été guéries par magie. Naples regarda Leo. 
Qu'est-ce que tu es, toi ? se demanda-t-il.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire